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Tercera Caida, Karl Kemov 1908/1946

PAntoine Isenbrandt
@12 Jan 2008

Karl Kemov, surnommé «el tigro blanco» est d’origine sibérienne, n’ayant peur que de ses propre rêves, il est devenu champion de catch au Mexique... Troisième exposition pour la jeune home-gallery MB Prospects qui montre la dernière série de dessins fantasmagoriques de grand format de Marko Velk.

Marko Velk est un artiste à la trajectoire tendue. De nombreuses expositions personnelles l’ont déjà imposé comme chantre du dessin, tant il explore et enrichit à la fois techniquement et émotionnellement son champ d’expression. Au pastel sec et au fusain, pour ses précédentes séries aux titres énigmatiques (Absences; Ce(ux) qui nous sépare(nt)), son effusion créative le porte cette fois-ci vers le dessin au trait, la ligne nue.
Cette manière crue et nerveuse est l’occasion de nous faire la confidence de l’existence d’un personnage passé au travers des mailles du filtre de l’Histoire:

«Le 30 juin 1908, une météorite géante dont l’onde de choc fut comparable à mille bombes d’Hiroshima explosa 8000 mètres au dessus de la région de Toungouska en
Sibérie, ravageant 2000 km de Taïga. Ce même jour, un petit village de cette même région voyait la naissance de Karl Kemov, personnage peu connu de ce côté-ci de l’Atlantique. Et pourtant…»

C’est en ces termes que l’artiste nous présente son personnage, enfant sauvage à l’imagination débordante devenu au Mexique, le plus grand catcheur de tous les temps.

L’accrochage savamment anarchique de grandes feuilles de dessin, laisse devant nos yeux facettés, se réaliser le ballet kaléidoscopique et fantasmatique des séquence(s) extirpées du chaos de l’existence de Karl Kemov.
A la manière d’un story-board labyrinthique, se déploient des vues d’objets, d’architectures et de choses, de membres et de corps, mouvants, incarnés, enviandés par l’expressivité acérée d’un dessin pur et précis dans ses aléas.

On saute volontiers d’une feuille à l’autre pour embrasser tel ou tel motif qui appelle le regard, rappelant à notre esprit le pouvoir démiurgique du dessin, capable de communiquer le souffle de la vie à l’œil d’une tête animale, comme l’implacabilité de la mort passant sur des yeux clos.

Le caractère expérimental du dessin, la proposition de formes figuratives, abstraites, ou les deux à la fois en fonction de la façon dont celles-ci s’entrechoquent, suscitent une expérience de la capacité de vision. En effet, la rupture de l’échelle qui permet à un cœur d’être plus gros qu’une chaise, ou à une tête d’englober un taureau, ainsi qu’une absence de notion de profondeur, projette et télescope tout au premier plan dans une accentuation de la perte de repères tant physiques qu’intellectuels.
Les images ne se laissent donc pas attraper.
La tentative d’établir des rapprochements, d’arrêter un concept demeure vaine. La référence semble être en nous, et si les séquences de la vie de Karl Kemov nous apparaissent dérangeantes, c’est -peut-être?- par leur familiarité qui résonne dans les miasmes de notre propre expérience et nous appelle dans une dangereuse séduction, telles les sirènes attirant puis engloutissant ceux qui répondent à leurs appels.

A travers un vocabulaire fantomatique et allusif, Marko Velk fuit la forme elle-même, en tentant de la faire échapper à sa propre représentation, à son propre locus et à ses propres attaches physiques et géographiques. La sensualité d’une main, le drame d’une tête ballante, le piquant d’une flèche d’église, cadencent le rythme déstructuré des émotions.
Par ses associations orchestrées pour fuir l’harmonie, il nous donne à voir des entités élémentaires qu’elles soient l’humain, l’animal, la ligne, l’arabesque ou le carré. L’artiste touche à une synthèse substantifique des éléments pour n’en capter que l’essence, l’électricité de la matière existante, la tension fondamentale qui construisent une quête du suprême collectif et partagé.
C’est au début du XIXe siècle, transposée dans l’univers hostile d’un personnage instable du «struggle for life», vivant dans l’ivresse instantanée de son existence rêvée, aveugle à la douleur, masqué pour mieux progresser dans sa fuite en avant, qu’affleure à travers son intensité, une esthétique de la réminiscence, sorte de recherche du temps occulté, perdu, à trouver.

MB Prospects est la première galerie de jeunes loups de l’art contemporain qui ne compilent pas cinquante ans à eux deux: Marc Bervillé et Benoît Moreau. Non dénués d’audace, ils ont choisi de fonctionner sur le principe d’un vernissage un vendredi tous les deux mois, avec une exposition chez eux, au rez-de-chaussée d’une maison privative, dans le XIIe arrondissement de Paris. Fiers d’une ligne directrice forte, ils défendent de jeunes artistes comme ceux de l’école des Beaux-Arts de Nantes: Clément Laigle, Bertrand Derel et Nicolas Guiot, travaillant dans une veine minimaliste sur l’architecture et les rapports de l’œuvre à son espace de monstration ; ou d’autres plus rompus travaillant sur les possibilités d’expression graphique comme Fréderic Arditi et Marko Velk.
Ils ont le projet pour l’hiver 2008 d’ouvrir une galerie à plein temps à Berlin.

Informations pratiques:
Du 3 au 9 mars 2007, sur rendez-vous.
Vernissage vendredi 2 mars 2007, 18 h.

Marko Velk
— Tercera Caida, 2006. Lithographie sur papier, éditions Bervillé, 70 x 40 cm.
— Séquence 7, 2006. Fusain sur papier. 50 x 67 cm.
— Séquence 8, 2006. Fusain sur papier. 50 x 67 cm.
— Séquence 9, 2006. Fusain sur papier. 50 x 67 cm.
— Séquence 14, 2006. Fusain sur papier. 50 x 67 cm.

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