PHOTO

Tératologies

Sortie 35, Brignoles. Vingt minutes de sinusoïdales, avant que n’apparaisse, tapis dans la montagne, Barjols, village du Var. Un tunnel, une cascade, et Les Perles, ancienne tannerie aujourd’hui réhabilitée au service de l’art contemporain par Sylvie Guimont et Christiane Ainsley, créatrices de l’association Art Mandat. A la fois lieu d’exposition, résidence et atelier d’artistes, Les Perles se propose de porter l’art de maintenant au-delà des grandes villes, et se veut avant tout «dévolu à l’expérimentation».
Ainsi, ce sont les plasticiens marseillais Véronique Verdier, Yasmine Blum, Jérémy Laffon et Hervé André qui y exposent leurs travaux, rassemblés sous le titre de «Tératologies», thème transversal à leurs créations respectives, choisi par Sylvie Pic, artiste et commissaire d’exposition.

Le seuil de l’entrée franchi, une grotte où le visiteur se trouve présenté à l’installation de Jérémy Laffon, hôte des cavités qui s’emparent du bruit des moteurs de l’extérieur pour la faire ronronner. Faite entièrement d’étais, l’hydre métallique se déploie dans l’alcôve principale et dans un renfoncement voisin, les occupant de fond en comble.

Malgré la stature de l’installation, on ne peut manquer d’être attentif à un tintement régulier: celui de Pic Vert, oiseau-machine industriel et décharné qui travaille la roche, opiniâtre. Tandis que Jérémy Laffon, avec ces deux pièces, se fait chef d’orchestre d’un réel mécanique à la mélodie gravée par le temps, une vidéo, Fiction, est projetée dans l’une des excavations, témoin d’une facette plus sourde de son travail. Ainsi, une plongée endoscopique de quatorze minutes au cœur d’une architecture de chewing-gums mangés par un clair-obscur type snuff movie est proposée au spectateur, cheminement mystérieux aux confins de ténèbres aux lueurs menthe-pâle.

Dérobé par les escaliers qui le mènent aux cimaises de l’étage, le visiteur découvre un clair-obscur autre, celui de Véronique Verdier, photographe. Cinq tirages de dimensions hétéroclites (du 100 x 100 cm au 15 x 15 cm) dont quatre se répondent en diptyques, où des formes indéfinissables mais indubitablement organiques émergent du noir profond que le nitrate d’argent a révélé.
Avec ces corps clairs que voilent des projections, l’artiste propose une série de photographies ou les jointures du cauchemardesque touchent celles de l’onirique le plus lénifiant. Dans ces clichés semble se jouer la poétique rencontre de Peter Witkin et d’Alain Fleischer.

Comme enfilées à ces travaux de Véronique Verdier, les broderies de Yasmine Blum, issues de sa série Souvenir Stall. Celle-ci revisite le folk art et son charme désuet pour lui insuffler à coups d’aiguille une gorgée de radioactivité, en représentant sur des napperons de jeunes enfants ou certains de leurs membres atteints de malformations.
La ligne se poursuit au sein de ses nombreux dessins et aquarelles, cinquante-trois au total. Les noirs traits fins griffés dans du papier épais tracent des chimères mutilées, aux parties génitales souvent troquées, contre les membres d’un insecte, lorsqu’elles ne sont pas prises pour cible par de maldororesques crustacés.
Parmi les dessins, les Petites Formes, sorte de musée d’histoires naturelles, est une série d’aquarelles où les couleurs s’entre pénètrent pour désigner des organismes aquatiques et imaginaires.

Dans les trois salles, peintures à l’huile sur PVC et dessins à la plume d’Hervé André s’entrecroisent avec les œuvres des deux plasticiennes. Après avoir bien ingurgité les techniques traditionnelles et certains thèmes classiques (études d’après nature et autoportraits, etc.), Hervé André s’est vu privé de Flamby© et n’a eu droit à la place qu’à son Ame moulée au cul et à une tartine de Fautrier.
Heureusement. Il présente ainsi d’une part des empâtements d’huiles couverts d’orifices, charnels et béants, d’autre part des autoportraits aux mille visages, osselets cadavériques, qui sont la retranscription à l’encre de chine improvisée par l’artiste à partir des reflets de plusieurs miroirs.
Son travail s’inscrit, de cette manière, dans la lignée des autres œuvres présentées, dont le principal point de convergence, selon lui, est qu’ils «se focalisent tous sur un objet précis esseulé, à la manière d’un sculpteur qui isole son sujet pour le traiter». A cela, un parfum d’étrangeté récurrent croisé à un inquiétant imaginaire s’ajoutent pour donner à la rencontre de ces différentes pratiques sa légitimité et sa puissance.