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Tailles douces

PBlack Light
@17 Avr 2014

Les sculptures que Jacques Julien présente dans l’importante exposition que lui consacre le Crac de Sète font du jeu et de l’humour ainsi que de l’irrévérence dans les compositions, les couleurs et les matériaux des principes de création. Une bouffée d’air assez rare et rarement aussi vigoureuse pour l’esprit et les yeux.

L’importante exposition que le Centre d’art contemporain de Sète consacre à Jacques Julien est marquée du sceau du jeu et de l’humour. Le jeu, qui est l’un des moteurs de l’imagination artistique, et l’humour, qui suppose une distance, animent les empilements et l’assemblages d’objets, et contribuent à leur aspect insolite. L’humour et le jeu se retrouvent également dans le choix des matériaux aux couleurs vives, et dans le recours aux faux-semblants.
Un des livres de Jacques Julien, le plus ancien réalisé en collaboration avec le poète Pierre Alferi, annonçait déjà quelques éléments récurrents de son Å“uvre plastique, sous la forme de variations de terrains de jeu aux couleurs vibrantes (Personal Pong, Sète, éd. Villa Saint-Clair, 1996). Les démarches sur papier sont transposées dans l’espace tridimensionnel des sculptures dans lesquelles Jacques Julien dispose d’un choix de matériaux insolites pour renforcer l’humour de ses Å“uvres.
La série Pagliacci au titre déjà clownesque, se compose de sculptures sans socles, directement posées sur des genres de paillassons spécifiquement adaptés à chaque Å“uvre. Les couleurs des sculptures sont très vives. Quant aux matériaux, ils sont aussi inattendus: à côté de la terre crue et le métal, on trouve une panoplie d’objets tels que des plantes artificielles, une tête de balai, un seau, des roues bleu turquoise, un clairon rouge attaché à un tronc d’arbre, etc.

Les mots fonctionnent comme des mots-valises, et les objets aussi. Le titre de l’exposition «Taille douce» fait référence à une technique de gravure, mais il évoque aussi la différence de taille entre les sculptures présentées dans la première salle et celles de la deuxième salle qui sont beaucoup plus grandes. Les «Pagliacci» évoquent des clowns et des paillassons. Les objets sont coupés de leur utilisation ordinaire pour être réagencés et re-signifiés selon la règle de l’humour où les mots et les choses ne sont pas arrimés à un seul sens.

Avec The Letter, after David Smith (2014) Jacques Julien interprète la célèbre sculpture The Letter de David Smith, mais en inclinant son œuvre pour provoquer une fois encore un déséquilibre.
Dans Le Nuage en herbe (2008), une estrade basse recouverte d’herbe synthétique, qui a la forme d’un nuage, accueille un panneau de basket incliné vers le haut afin de recevoir une balle qui, suspendue en l’air, ne tombera jamais…
Dans l’univers de l’humour, les attentes ne se réalisent que rarement comme prévu, et les rôles et situations s’inversent. Ainsi, dans une autre Å“uvre (Sans titre, 2014), une pierre à laquelle est attachée une grosse chaîne sont l’une et l’autre mystérieusement si légères qu’elles flottent en l’air comme un ballon.

Quand Jacques Julien choisit le noir et blanc, il y ajoute du tissu rayé, semblable à celui des uniformes de prisonniers. La série Les Vagabonds se compose ainsi de formes molles ployant sous leur propre poids, jonchées au sol ou suspendues en l’air. Là encore, les matériaux ne sont pas traditionnels. La sensation de formes compressées ou désarticulées est obtenue au moyen de polochons.
Quant à Leadbelly (2010), une forme molle rayée de noir et de blanc, drôlement pendue, son titre évoque le nom du célèbre bluesman américain qui avait effectué quelques séjours en prison. Ses chansons souvent ironiques (qui n’ont pas été retenues par Jacques Julien) auraient pu ajouter une dérision supplémentaire au jeu de formes et de couleurs de la sculpture.

Jacques Julien met en scène un grand chambardement des objets quotidiens. L’humour qui imprègne son art nous fait prendre conscience du poids, de la légèreté, des contours, des couleurs, et des composants des choses. Les assemblages insolites et le maniement des formes constituent en quelque sorte le non-sens et l’absurdité en tant que vecteur de nouveaux régimes de sens.
Alors que l’on rit rarement dans une exposition, et moins encore devant des sculptures, on éprouve une certaine joie à voir autrement, avec Jacques Julien, l’univers du quotidien.

Å’uvres
— Jacques Julien, série Pagliacci, 2013-2014. Matériaux divers.
— Jacques Julien, Gréement, 2014. Bois, métal.
— Jacques Julien, série Les Vagabonds, 2011. Acier, polochons.
— Jacques Julien, Dadada, 2013. Sérigraphie.
— Jacques Julien, The Letter (after David Smith), 2014. Résine, métal, bois.
— Jacques Julien, série Les Empathiques, 2000-2010. Matériaux divers.
— Jacques Julien, série Pièces uniques, 2012. Matériaux divers.
— Jacques Julien, Le Nuage en herbe, 2008. Matériaux divers.
— Jacques Julien, série Les Cécités, 2014. Bois, résine peinte, pvc.
— Jacques Julien, Leadbelly, 2010. Matériaux divers.
— Jacques Julien, série Les Suspentes, 2010-2014. Matériaux divers.

Publications
Jacques Julien et Pierre Alferi
— Personal Pong, éd. Villa Saint-Clair, Sète, 1996.
— Handicap, éd. Rroz, Lyon, 2000.
— Pierre et Jacques découvrent l’Australie (feuilleton radiophonique pour France Culture), 2000.
— L’Inconnu, éd. Le Quartier, Quimper, 2004.
Jacques Julien, Entre sphinx et biches aux bois, éd. Villa Saint-Clair, Sète, 2005.
— Farandole, éd. La Maréchalerie, Versailles, 2007.
— Ça commence à Séoul, DVD, éd. POL, Paris, 2007.
— Images pour la Micronésie, éd. La Passe du Vent, Genouilleux, 2007.
— Lézard de la mémoire, éd. Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2012

 

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