ART | CRITIQUE

Tadanori Yokoo

PMaxime Thieffine
@12 Jan 2008

Le graphiste japonais Tadanori Yokoo expose pour la première fois en Europe ses peintures de la série «Rouge» (1996-2006) accompagnées de quelques toiles plus anciennes. Au travers de ses paysages symboliques se déploie une vision d’un enfer pop personnel proche de l’univers de William Blake. 

De grandes visions orgiaques rouges et noires figurent une fin du monde post-atomique étrangement vue au travers des yeux d’un peintre symboliste du XIXe siècle. Les paysages flottent sur fond de nuit noire, de cavernes ou de nuées rouges, au-dessus d’un vaste désert égyptien ou dans le ventre d’un volcan. Yokoo explose les espaces sur toute la surface de la toile. Qu’elle grouille de fleurs de cerisiers, de lucioles ou d’étoiles, qu’elle soit balayée par des tourbillons intergalactiques (Adagio 1958), l’espace y est disloqué ou en état de fusion.

Sommes-nous dans une salle de bain (Le Circuit des eaux)? Au-dessus d’une ville (Hong Kong)? Au moment du big bang (Star Child) ou au cœur d’un volcan (Les Deux Cris)?
Il est impossible de savoir si les figures qui en émergent flottent, s’élèvent ou tombent. En cela Le Bain d’or (2005) est la plus emblématique des toiles de cette série, ambiguëe sous son calme apparent. On est immergé dans des couleurs vivifiantes rouge et or. Se baigne-t-on (avec les personnages en silhouette) dans un bain de jouvence, ou est-on pris dans une marmite infernale, sans au-delà autre que la pure matière picturale? Qu’importe, car l’espace existe enfin, suspendu et offert au regard, privé de sens déterminé.

Ailleurs les personnages oscillent entre le pathétique et le symbolique serein. Une jeune femme nous regarde en bavant et hurlant, Mozart offre un cerveau à une musicienne, les héros modernes (Einstein, Hitler, Mozart) se réunissent autour d’un vagin céleste, un lys lumineux émerge dans une rue des bas fonds. Le reste semble appartenir à un théâtre inconscient et à des visions mystiques païennes.

Tadanori Yokoo est japonais mais sa peinture est occidentale, ses compositions sont centrées et le tableau conçu comme une surface à remplir et à creuser. Si l’artiste parle de Picabia ou de Chirico, dont il n’a pourtant pas l’humour, ni la sophistication théâtrale, on pense davantage à Cremonini, William Blake ou Gustave Moreau.
De Blake, il garde cette inspiration romantique et lyrique où les figures sont prises dans des tourments graphiques. De Moreau il reprend le flou et la lourdeur des atmosphères colorées qui enveloppent ou soutiennent les personnages. Sa peinture se rapproche de l’art brut, des réalisations de ces artistes fous surchargeant leurs toiles de mille figures, submergées par des visions de dieux populaires maladroitement figurés.
Parallèlement à cette série, quelques toiles plus variées et joyeuses s’inspirent du pop art anglais et américain des années 60, du côté de Peter Blake ou d’Alex Katz, pour la naïveté du trait, les aplats et la frontalité, ou encore de James Rosenquist pour l’abondance de citations stylistiques à l’histoire de l’art et à l’univers des médias.
Entre ces deux pans de son inspiration, une fascinante installation de cartes postales de cascade d’eau, en 3700 exemplaires différents, issus de la collection monomaniaque de l’artiste, recouvre tout un mur.

Si l’on sent chez Tadanori Yokoo un ardent désir de s’identifier à l’artiste visionnaire, qui ramène des flashs de notre inconscient culturel, on en verra de saisissants exemples dans ses collages et illustrations des années 60.

Les posters présentés à l’étage et les catalogues permettent de découvrir des compositions qui ont valu à Yokoo sa renommée mondiale en tant que figure de proue d’un graphisme psychédélique et expérimental, et une grande exposition au MoM.A. en 1972.
Dense, complexe, explosant de couleurs violentes et acides, son art graphique reste d’une légèreté et d’une fulgurance rare dans la culture pop de masse. On a l’impression qu’il réinvente l’électricité dans nos yeux mêmes.

Le visionnaire, celui qui explore l’imaginaire de son groupe sociale, ne serait-il pas, dans le Japon d’après guerre, un employé pour la communication ou la publicité plutôt qu’un individu qui peint ses rêves? C’est ce que suggère cette exposition qui confronte ces deux activités (les illustrations et les peintures) chez un même homme.

Tadanori Yokoo
— Rencontre avec une âme chère/Meeting with a Dear Soul, 1998. Acrylique et collage sur toile.
— Premiers mouvements fœtaux en mauve/First Fetal Movements in Mauve, 1994. Acrylique, boutons et cartes postales sur toile.
— Compte rendu d’expérimentations/Experiment Report, 1996. Huile sur toile.
— La Mort de l’amour/The Death of Love, 1993. Acrylique sur toile.
— Le Cri des cinq sens/Screaming of the Five Senses, 1999. Huile sur toile.
— Écoute les voix qui circulent et grondent en toutes choses/Listen to the Voices that Echo and Roar in Everything, 1994. Acrylique et collage sur toile.
— Là-bas les fleurs, ici les bains publics/Flowers Over There, Baths Over Here, 2004. Huile sur toile.
— Ce soir, il y a des os dans mon saké/Tonight There Are Bones In My Saké, 1998. Huile et collage sur toile.
— Brossage de dents/Brushing Teeth, 1966. Acrylique sur toile.
— La Moto/Motorcycle, 1966. Acrylique sur toile.
— Télévision/Television, 2002. Acrylique sur toile.
— Le Lotus de la ville d’eaux (le miroir des geisha)/The Spa Lotus (Geisha’s Mirror), 2004. Huile sur toile.
— Jeunes filles au bain (le luffa et les jarres)/Young Girls Bathing (loofah and jars), 2004. Huile sur toile.
— Lion et lune verte/A Lion and a Green Moon, 1996. Acrylique sur toile.
— Hong Kong, 1997. Acrylique et huile sur toile.
— Adagio 1958, 1998. Huile, acrylique et collage sur toile.
— Les Deux cris/The Two Screams, 1996. Acrylique sur toile.
— Regardons ce qu’il y a dans le ciel/Let’s See What’s Up In The Sky, 1996. Acrylique sur toile.
— Homme volant parmi les étoiles/Man Flying Among the Stars, 1996. Acrylique sur toile.
— L’Enfant des étoiles/Star Child, 1996. Acrylique sur toile.
— Destin/Destiny, 1997. Acrylique sur toile.
— Le Circuit des eaux/Water Circulation, 1998. Huile et collage sur toile.
— Paysage rouge avec cours d’eau/Red Landscape with Stream, 1996. Acrylique sur toile.
— Amadeus 369, 1997. Acrylique sur toile.
— La Naissance du mort/The Birth of the Dead, 1997. Acrylique et huile sur toile.
— Lucioles cosmiques/Cosmic Fireflies, 1997. Acrylique sur toile.
— Chemin lumineux dans les ténèbres: rues en rouge/Luminous Path in the Darkness: Streets in Red, 2001. Acrylique sur toile.
— Le Cerveau de Mozart/Mozart’s Brain, 1996. Acrylique sur toile.
— Paysage avec lunettes et chapeau/Landscape with Glasses and a Hat, 1965. Encre couleur sur papier.
— Au sein de la mort, la vie/Life in Death, 2000. Huile et collage sur toile.
— Vers l’autre monde/Towards the Other World, 2000. Acrylique sur toile.
— Le Cri d’Élisa/Elisa’s Cry, 2005. Huile sur toile.
— Nuit à Miyazaki III/Night in Miyazaki III, 2004. Huile sur toile.
— Le Lieu du corps – Vision idéale de l’espace céleste/Body Space—Ideal Vision of Celestial Space, 1998. Huile, acrylique et collage sur toile.
— Je suis né un 27 juin, comme Helen Keller, et j’ai été adopté par la famille de mon oncle Yokoo, le frère aîné de mon père. Mes parents adoptifs me racontaient parfois qu’ils m’avaient trouvé sous un pont. Dès l’enfance, en regardant le ciel étoilé, j’ai commencé à rêver de ce que serait mon destin. Et je me prenais pour une luciole qui clignote comme les étoiles. Je sens qu’un invisible esprit protecteur n’a cessé de m’accompagner dans mon long voyage, ainsi que le Rat de l’astrologie chinoise, animal emblématique de mon année de naissance / I was born on June 27th, 1996. Acrylique sur toile.
— L’Océan de Jules Verne/Jules Verne’s Ocean, 2006. Acrylique sur toile.
— Le Bain d’or/The Golden Bath, 2005. Acrylique sur toile.
— Tadanori Yokoo, 1965. Sérigraphie sur papier.
— À la maison de M. Civeçawa, École de Danse des Ténèbres, Firme Garumera/At Mr. Civeçawa’s House, School of the Dance of Darkness, Garumera Firm, 1965. Sérigraphie sur papier.
— John Silver, «Le Théâtre de la Situation»/John Silver, «Situation Theater», , 1967. Sérigraphie sur papier.
— «L’Arc tendu [en forme de] croissant de lune», adaptation du roman Chinsetsu Yumihari-Zuki pour le kabuki, Théâtre National/«The Taut Bow in the Shape of a Crescent Moon», a Kabuki play adapted from the novel Chinsetsu Yumihari-Zuki, National Theater, 1969. Sérigraphie sur papier.
— Empreintes de la culture japonaise d’après-guerre: 1945-1995, Asahi Shimbunsha/Traces of Post-War Japanese Culture: 1945-1995, Asahi Shinbunsha, 1995. Sérigraphie sur papier.
— Exposition photographique de Eikô Hosoe: Tatsumi Hijikata et les Japonais, Le livre de Kamaitachi, pour les hommes nouveaux, éditions Gendai Shichô-Sha/Eikoh Hosoe Photography Exhibition: Tatsumi Hijikata and the Japanese, The Book of Kamaitachi for New Men, published by Gendai Shicho-Sha, 1968. Sérigraphie sur papier.
— Yukio Mishima, Une esthétique de la fin/Yukio Mishima, An Aesthetics of the End, 1966. Sérigraphie sur papier.
— Fuji Tarzan, 1997. Sérigraphie sur papier. 

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