ART | CRITIQUE

Sylvie Fleury

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Sens aigu de la mise en scène; rapport spectaculaire à l’espace; recyclage et déplacement de signes et d’objets; détournements de codes, d’attitudes ou de modes de vie; omniprésence du corps entre présence, perte et retrait: le travail de Sylvie Fleury brouille et réinvente sans cesse nos relations avec les œuvres d’art.

Sens aigu de la mise en scène, rapport spectaculaire à l’espace de la représentation; recyclage de signes et d’objets manufacturés collectés dans différents territoires puis déplacés, excessivement agrandis, dans le champ artistique; détournements de codes, attitudes, tendances ou modes de vie: le travail de Sylvie Fleury est à bien des égards déconcertant. Loin d’apporter quelques repères ou de préciser sa démarche, la dernière exposition parisienne de l’artiste suisse n’en finit pas de brouiller les pistes en posant, non sans ironie, la nature des relations que nous entretenons avec les œuvres d’art.

Au premier niveau de la galerie, on est accueilli par une forêt de lampes en plastique multicolore, des tapis de yoga et un tableau serti d’une multitude de cristaux scintillants. Au croisement du kitsch et du psychédélisme — tendance qui effectue un retour notable ces dernières années, notamment dans la musique et la mode —, l’ensemble s’avère indéniablement séduisant, et pourrait parfaitement s’inscrire dans l’univers esthétique des musiques électroniques (les « after » des fêtes technos par exemple), ou trouver sa place au rayon décoration d’un magasin de luxe.

Le choix des objets et les matériaux sélectionnés (plastique, bronze, verre), leur association avec une gamme variée de couleurs fluorescentes crée une atmosphère propice à la relaxation, à la contemplation, au silence. Cette dernière disposition se confirme avec la spectaculaire installation de quatre pendules en acier inox accrochés à la structure de la galerie par d’énormes chaînes — un cinquième étant disposé nonchalamment sur le sol. Aux confins du design et de la sculpture monumentale (envisagée ici dans un geste frondeur et parodique), l’immobilité pesante des pièces argentées procure un étrange sentiment de compression de l’espace. La pesanteur des masses pendulaires, à l’élégance lisse et froide, semble absorber toutes les vibrations, toutes les ondes du lieu, suspendu dans une double dimension métaphorique, conjointement temporelle et occulte.

Cet aspect ésotérique est explicite au sous-sol de la galerie, et passe par une approche spectrale de l’enveloppe charnelle. Sylvie Fleury y présente cinquante cinq portraits « people » en couleurs — des acteurs de la scène de l’art contemporain, du cinéma ou de la mode —, réalisés selon un principe photothermique qui enregistre la chaleur émise par les corps. Retravaillées à l’ordinateur puis tirées sur toile ou sur support cibachrome, les images, d’une grande variété de tons (verts, oranges, jaunes, bleus, etc.) sont parfois menaçantes pour les modèles, tant les auréoles lumineuses qui les parcourent rongent les contours des visages et des corps.

De manière explicite ou détournée, distanciée ou moqueuse, la question du corps travaille l’ensemble de l’exposition selon des modes et des registres divers. De nombreuses pièces suggèrent sa présence, d’autres pointent sinon sa perte, du moins son retrait. Ainsi, d’une paire de menottes métallisées siglées Gucci au détournement, en forme de wall painting en néon bleu pastel, d’un slogan pour une crème de beauté (Exfoliate – Purify – Hydrate – Shield); des quartz, en forme de lampes lumineuses, dressés en autant d’emblèmes phalliques aux images photographiques hantées de fantômes et de spectres, Sylvie Fleury distille dans un décors à l’incontestable beauté plastique et visuelle une vision du corps ambiguë et glacée, où, à travers l’idolâtrie des objets, le spectateur est renvoyé à son propre comportement social, son fétichisme et son désir.

Sylvie Fleury
— Tapis Yoga Gucci, 2001-2002. Bronze. 143 x 55 x 2 cm.
— Pendule Twenty-One, 2001. Métal. H. 130 cm, diam. 45 cm, chaîne 370 cm.
—Pendule Suisse 1, 2001-2002. Métal. H. 199 cm, diam. 50 cm.
— Pendule Suisse 2, 2001-2002. Métal. H. 160 cm, diam. 78 cm.
— Pendule Suisse 3, 2001-2002. Métal. H. 136 cm, diam. 45 cm.
— Menottes Gucci, 2001-2002. Métal doré.
— Exfoliate, 2001-2002. Néon bleu. 80 cm x 490 cm.
— Revive, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 360 cm.
— Hydrate, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 420cm.
— Soothe, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 375 cm.
— Ligthen, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 375 cm.
— Shield, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 325 cm.
— Purify, 2001-2002. Néon bleu. 80 x 310 cm.
— Portraits Aura, 2002. Photographies sur toile. 84 x 63 cm.
— Portaits Aura, 2002. Photographies sur aluminium. 90 x 121 cm.
— Cristaux, 2001. Plexiglas, néon, support électrique. Taille variable.

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