ART | EXPO

Supportive

15 Fév - 14 Avr 2013
Vernissage le 14 Fév 2013

Supportive est l’œuvre auto-créative la plus monumentale jamais créée par Gustav Metzger, figure centrale de l’underground londonien des années 60 et 70, et cristallise toutes ses recherches autour du futur de l’art après l’Holocauste et sa capacité à s’autocréer.

Gustav Merger
Supportive

Supportive est composée de 7 écrans de 4 mètres par 4. Conçue en boucle, selon un rythme maîtrisé de douze minutes, l’œuvre est en constante évolution, soumise au processus de l’aléatoire des cristaux liquides alternativement chauffés et refroidis. Elle est tout à la fois sept images simultanées, une durée et un hasard dont il est impossible de conserver la trace, pas plus qu’il n’est permis d’imaginer l’avenir.

L’exposition « Supportive » est accompagnée d’un ensemble de documents -lettres autographes, articles, publications, fac similés– qui éclairent le contexte très particulier de l’histoire de l’art auto-destructif et auto-créatif, depuis ses prémisses en 1959 (Carboard Exhibition) jusqu’aux cinq manifestes originaux (1959 à 1964), réunis pour la première fois.

En effet dès le moment inaugural, alors qu’il est encore à la recherche de moyens nouveaux de faire de l’art qui soient adaptés à l’omniprésence de la science et de la technologie dans les sociétés modernes, Gustav Metzger choisit les formes du manifeste et de la conférence – »démonstration ». Les cinq manifestes: Auto-Destructive Art (1959), Manifesto Auto-Destructive Art (1960), Auto-Destructive Art, Machine Art, Auto-Creative Art (1961), Manifesto World (1962) et On Ramdon Activity in Material / Transforming Works of Art, Fifth manifesto (1964), sont les exemples éclatant de l’imbrication étroite de la destruction avec la technologie, du potentiel créatif de la science et de la technique.

Gustav Metzger affirme très tôt l’impérative nécessité pour l’artiste de s’associer au scientifique et à l’ingénieur.

« L’art auto-destructif est fondamentalement une forme d’art public pour les sociétés industrielles. L’art auto-destructif peut être créé avec des forces naturelles, des techniques artistiques traditionnelles et des technologies. L’artiste peut collaborer avec des scientifiques, des ingénieurs. L’art auto-destructif peut être produit par la machine et assemblé en usine. » (Gustav Metzger, Auto-Destructive Art (premier manifeste), 1959)

Gustav Metzger est né dans une famille juive d’origine polonaise, puis exilé en Angleterre en 1939. Sauvé par miracle des camps de la mort mais pas sa famille, Gustav Metzger placera au cœur de son art l’«expérience limite» mise en œuvre et vécue en Europe au cours de la seconde Guerre Mondiale, caractéristique de la capacité de l’homme à s’auto-détruire.

L’art auto-destructif

Entre 1959 et 1961, Gustav Mezger publie deux manifestes portant le même titre Auto-Destructive Art (1959 et 1960) puis un troisième intitulé Auto-Destructive Art, Machine Art, Auto-Creative Art (1961).

Sa pensée critique et le regard qu’il porte à l’égard de la modernité le conduisent à cette extrême limite qu’il nomme «l’art de l’auto-destruction». À la manière de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, il s’interroge sur le futur de l’art après l’Holocauste, ce qui le conduit à une réflexion sur la destruction, qu’il s’efforce de transformer en acte positif, processus d’auto-destruction et d’auto-création simultanées.

En 1961 à Londres, Metzger présente pour la première fois au public, le principe de l’auto-destruction avec la South Bank Demonstration quand il projette de l’acide sur une succession de toiles en nylon qui s’auto-détruisent en quelque vingt minutes. Le geste, iconoclaste, marque alors une rupture radicale dans l’art occidental.

En 1966, Gustav Metzger est l’un des principaux organisateurs du Destruction In Art Symposium, événement qui rassemble à Londres les Actionnistes viennois, certains artistes de Fluxus, aussi bien que des artistes de sensibilités diverses qui cherchent tous à mettre à mal l’establishment, à la manière des mouvements politiques contestataires de Chicago et Paris (1968). Ou encore à la manière existentielle du rock alternatif et de la «contre-culture» qui inventent d’autres comportements à l’égard de la société.

Le Destruction in Art Symposium apparaît rétrospectivement comme un événement très important pour plusieurs raisons. D’abord, cette idée d’un événement transdisciplinaire: s’y sont croisés des artistes, des savants, des philosophes et des hommes politiques. Une des caractéristiques essentielles de la contre-culture était la recherche de nouveaux langages susceptibles d’être utilisés par les artistes. Ces langages ne reflétaient pas l’approche traditionnelle de l’art, ils prenaient en compte un certain nombre d’éléments sociaux, politiques et scientifiques.

Ensuite, il y avait l’idée d’un geste artistique défini non plus seulement en termes de matériaux, mais en termes d’«événement»: quelque chose qui arrive, à un certain moment et prend place dans le temps plutôt que dans l’espace.

Au niveau international, c’était aussi la première fois que les Actionnistes viennois intervenaient hors d’Autriche. Hermann Nitsch, Otto Muehl, Günter Brus, Peter Weibel et Kurt Kren, tous membres de l’Institut viennois d’art direct, étaient là. La performance de Nitsch, 21st Action, fut interrompue par la police ; Metzger et John Sharkey se retrouvèrent au tribunal, inculpés d’obscénité.

D’Espagne, était présent le groupe Zaj, d’Allemagne, Wolf Vostell. L’Américain Al Hansen était là aussi, maintenant la tradition du happening américain en Grande-Bretagne, inaugurée par le séjour d’Allan Kaprow quelques années auparavant. Si Yoko Ono est venue vivre à Londres, c’est parce qu’elle avait reçu une invitation pour le symposium. Tout cela montre bien à quel point cette contre-culture émergente était déjà internationalisée.

Après avoir été une figure de proue de l’«underground» londonien dans les années 1960-70, Gustav Metzger appelle à une grève de l’art entre 1977 et 1980, en réaction à la tendance mercantile qui considère l’œuvre essentiellement comme un bien de consommation.

Il engage ensuite une série intitulée Historic Photographs, qui consiste à «récupérer» les clichés les plus manifestes traitant des violences aveugles, liées à des conflits à forte charge géopolitique, comme la guerre israélo-palestinienne ou l’attentat d’Oklahoma City.

L’artiste confronte le spectateur à l’Histoire et à ses Événements les plus tragiques. Au début des années 2000, il introduit quantité de journaux dans ses œuvres afin d’actualiser un passé menacé sans cesse de disparaître face à l’opacité des médias et à la faiblesse de nos mémoires.

En 2003, l’artiste présente 100 000 Newspapers pour la Biennale de Lyon, une installation composée de milliers de journaux entreposés sur des étagères métalliques semi détruites, auxquelles il adjoint trois projections auto-créatives de cristaux liquides.

Ses productions les plus récentes portent sur l’écologie. Par exemple, le Flailing Tree, présenté en 2009 à Manchester, est une sculpture composée d’arbres plongés tête en bas dans un bloc de béton. En 2012, il expose une centaine de dessins à la Documenta de Kassel en Allemagne.

L’art auto-créatif

Si la destruction demeure un élément central de son œuvre, celle-ci ne peut se concevoir sans envisager les conditions de son renouvellement créatif: son œuvre, conçue comme génératrice de formes nouvelles, porte en elle sa propre autocréation.

C’est pourquoi, dès 1961, en réponse à la double question de la destruction et de la régénération, Metzger concoit de façon «dialectique» un art autocréatif basé sur la technique des cristaux liquides. Il lui faudra quelques années pour la mettre au point.

En 1963, il donne une conférence à la Bartlett Society de l’Université de Londres, où il expose une première œuvre simultanément auto-destructive et créative, constituée de tissus de nylon tendus dans des caches de diapositives, qu’il laisse se consumer sous l’effet de la projection. Et il expose sa première œuvre auto-générative à base de cristaux liquides le 8 janvier 1966 lors de son exposition personnelle à Better Books, à Londres.

Placés entre deux plaques de verre insérées dans un projecteur de diapositives, ils sont mus d’un mouvement lent. Les cristaux colorés alternativement chauffés par la lampe puis refroidis régénèrent des images, aux formes et aux couleurs en constante évolution, mais non contrôlables.

Dans les années 1960 et 1970, Metzger réalise des projections «psychédéliques» pour les concerts des Cream et The Who. Pete Townshend, guitariste de ce dernier groupe, indiquera à plusieurs reprises l’influence qu’a eue une conférence sur l’art auto-destructif suivie à la Ealing School of Art sur la destruction de ses guitares pendant ses concerts, participant à l’image légendaire du groupe.

C’est bien plus tard, à l’occasion de sa première rétrospective au Musée d’art moderne d’Oxford, en 1998, que Gustav Metzger renoue avec les cristaux liquides. Il s’agit de cinq projections de grandes dimensions, désormais régulées par un système informatique conçu avec des ingénieurs. Les cristaux liquides réagissent toujours à la chaleur mais le processus d’évolution ainsi que leurs formes et couleurs restent incontrôlables. L’œuvre ainsi présentée invite le public à l’immersion dans la durée continue et dans un mouvement d’images aléatoires aux couleurs silencieuses.

« L’art auto-créatif est un art du changement, du mouvement et de la croissance. » (Gustav Metzger, Auto-destructive art, machine art, auto-creative art, 3eme manifeste, 1961)

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