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Supernatural

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

Une vision sublimée de la nature par un ensemble de travaux qui ont en commun de faire basculer notre perception naturelle vers une appréhension du réel proche de la vision ou de l’hallucination.

Par Marguerite Pilven

Autour de l’intitulé « Supernatural » évoquant l’idée d’une vision sublimée de la nature, les galeristes Béatrice et Bernard Zürcher rassemblent un ensemble de travaux dont les propositions ont en commun de faire basculer notre perception naturelle vers une appréhension du réel proche de la vision ou de l’hallucination.

Par de vastes travelling évoluant très lentement à la surface d’un lac bordé d’arbres, la vidéaste Mathilde Rosier entraîne notre regard dans des jeux de reflets sur la surface ridée des eaux, espace fluide et réfléchissant où les éléments du paysage se télescopent. La fine buée qui recouvre son objectif affaiblissant la définition de l’image, ainsi que la mise en musique du film contribuent à créer une impression de dérive de l’œil vers un paysage intérieur, non soumis à des données objectives.
D’autres séquences épousent le rythme d’éléments naturels, comme lorsque l’artiste s’attache à filmer en très gros plan la lente évolution d’une coquille d’escargot. En supprimant toute distance entre sujet et objet, Rosier noie notre regard dans les détails du paysage, en une expérience menant de la visibilité extrême à l’aveuglement progressif.

Cette fusion du sujet et de l’objet propre à la fascination est aussi à l’œuvre dans les grands tableaux à l’huile de Marc Desgranchamps. Le thème de la contemplation est d’emblée évoqué par la représentation d’une femme nous tournant le dos et regardant un paysage maritime à l’horizon fortement marqué.
A la manière des tableaux de Friedrich, cette figure féminine sert de relais entre notre propre regard et le fond du tableau. Un jeu de transparences provoqué par la dilution extrême des couleurs fait se confondre les plans, rendant le paysage visible à travers le corps de la femme. L’artiste nous livre par ce procédé une vision synchrétique, comme rêvée de la scène où les notions de proximité et d’éloignement sont abolies.

La frontière entre la réalité factuelle et ses métamorphoses rêvées est aussi explorée dans les photographies de Joan Fontcuberta. Les images exposées sont issues de la série des « Milagros », réalisée lors d’une période en résidence à l’école monastique de Valhamönde, à la frontière de la Finlande et de la Russie.
Cet endroit situé au cœur d’un labyrinthe de végétation artificielle qui ressemble à une utopie a suscité chez l’artiste une série de visions fantastiques dans lesquelles les popes du monastère ont été transformés en magiciens opérant sur la nature. Une utopie, des habits d’église distinguant les popes du monde profane, autant de détails glanés dans le réel qui semblent avoir encouragé l’artiste à s’en affranchir.

Luxemburg paraît aussi vouloir nous conduire à ce dépassement de la perception naturelle par le biais de ses photographies crépusculaires. L’étrangeté ne réside pas tant ici dans la technique employée que dans des prises de vues qui focalisent le vide, rejetant sur les côtés les indices du paysage. Le centre des photographies d’un noir indifférencié fait buter notre regard contre un espace qu’aucune lumière ne révèle, le suspendant entre attente et questionnement. Le climat spectral de ces images engage l’approche intuitive à prendre le relais de la perception.

Une vidéo d’Aïda Ruilova est également visible, qui nous situe cette fois-ci de plein pied dans l’univers surnaturel du spiritisme. L’artiste filme deux jeunes filles assises dans une pièce faiblement éclairée qui psalmodient : I had no Feelings. Leur attitude concentrée, mains posées à plat devant elles les montrent toutes entières tendues vers une quête d’ordre immatérielle, mais l’esthétique du film, stéréotype de film d’épouvante de série B, introduit une distance ironique qu’un gros plan sur les bras des jeunes filles qui se frôlent souligne encore en s’intercalant à plusieurs reprises entre deux séquences incantatoires de I Had no Feelings.
Contrairement au reste des travaux exposés faisant subtilement passer le regard du donné sensible à son dépassement ou son intériorisation subjective, du dehors vers le dedans, Ruilova insiste ici plutôt sur le caractère absurde et vain de toute entreprise de négation du réel.

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