PHOTO

Subtiles élégances

PPhilippe Coubetergues
@12 Jan 2008

« Subtiles élégances » : élégances des formes ? Élégances des démarches ? Élégances des contenus ? Délicatesse des idées, distinction éthique des intentions ? Peut-être tout cela à la fois…

La galerie municipale de Noisy-le-Sec nous propose de découvrir depuis quelques jours le travail de cinq artistes, d’origines et d’horizons différents, dans le cadre d’une exposition collective, dont le commissariat a été assuré par Hélène Chouteau et Julien Fronsacq. Chaque artistes propose une ou plusieurs œuvres qui s’associent ou s’opposent selon le jeu de l’accrochage.

Rien ne prédestinait sans doute ces cinq artistes à exposer ensemble, si ce n’est l’intuition et le projet de ces deux commissaires qui choisirent de les regrouper sous le flambeau commun de l’élégance, si l’on en croit le titre donné à l’exposition, à savoir : « Subtiles élégances ».
Il reste au visiteur de découvrir ce qui s’entend sous un tel vocable. Élégances des formes ? Est-ce la grâce, la simplicité des lignes et des couleurs, le bon goût des compositions, la parfaite économie de l’ornement ou l’agrément des mises en œuvres qui se trouvent ainsi désignées ? Élégances des démarches ? Est-ce la distinction particulière des regards, mêlée d’aisance et de style, la qualité intellectuelle de ces approches singulières que le titre dénote ? Élégances des contenus ? Est-ce la délicatesse des idées, la distinction éthique des intentions qui seraient ainsi révélées dans ces œuvres ? Est-ce tout cela à la fois ?

Les œuvres sélectionnées ont en commun d’être en prise directe sur la réalité contemporaine, urbaine et sociale qui les entoure ; elles n’ont certes pas toutes été conçues à Noisy-le-Sec, mais c’est tout comme. Elles témoignent de ce cadre citadin dans ses dimensions humaines, architecturales et rituelles, sous le couvert d’une apparente neutralité. Ces témoignages prennent les formes d’enregistrements, de traces et d’observations variées. Elles se saisissent de ce contexte tout en feignant un subtil détachement. Elles s’en écartent insensiblement dans une mesure qui s’impose comme nécessaire et suffisante ; juste une mise à distance où s’énonce le propos.

Le rapprochement de ces œuvres certes subtiles, la contiguïté physique de ces regards certes attentifs, la réunion de ces démarches certes distanciées au sein d’un accrochage inévitablement impartial et anti-spectaculaire confère à l’ensemble une froide honnêteté, une rigueur un peu sèche qui semble confiner cet espace ambitieux, ce lieu d’art actuel et néanmoins éloquent, dans le strict et froid reflet désabusé de l’extérieur. Dépassant les apparences que l’on dit trompeuses à juste titre, le visiteur entamera, si le goût lui en reste, son enquête exigeante sur ce qui lui est proposé de découvrir. Surmontant sa désillusion, il sera sans aucun doute agréablement séduit par la finesse et la qualité des œuvres trop partiellement dévoilées par le jeu comptable de la sélection.

Georges Dupin photographie les intérieurs architecturés et particulièrement scénographiés des grandes boutiques de luxe à Paris (Les Boutiques, 2000). Ce sont des images en noir et blanc désertées par la figure où se déploient des jeux savants de reflets, de transparence et d’opalescence grâce aux subtiles dégradations des gris. Ces aménagements intérieurs particulièrement épurés et minimalistes donnent une matière sensible, quasi tactile aux compositions photographiques, qui tout en se saisissant de « l’élégance » formelle des lieux tendent à en dénoncer la vacuité morbide.

Haegue Yang est une artiste coréenne d’influence plus conceptuelle. Les Traces of Anonymous Pupils Authors sont des reproductions de pages intérieures issues de manuels scolaires coréens annotés, caviardés par les élèves, et dont elle n’a retenu que les traces graphiques débarrassées du texte imprimé. Il en résulte une série énigmatique de dessins principalement constitués de lignes horizontales interrompues de cercles évidés, dont la proximité formelle tend à dénoncer le conditionnement des apprentissages.
Air and Water est le titre d’une installation constituée de deux meubles métalliques gris à étagères, l’un ayant été entièrement évidé et l’autre, par contraste, pleinement chargé des plateaux horizontaux qu’ils étaient initialement, l’un et l’autre, destinés à contenir en une quantité plus convenue. Le rapport de ces deux œuvres à leurs titres permet sans aucun doute de comprendre ce qui donne à la démarche sa dimension poétique et critique. Les élèves sont-ils les auteurs de ce qu’ils se constituent comme savoir ? Ces deux structures élémentaristes peuvent-elles s’imposer comme équivalents formels à l’eau et l’air ?

Santiago Reyes expose son travail au terme de la résidence d’artiste dont il bénéficie à Noisy-le-Sec depuis décembre 2001. Les Villes est un projet entamé en 1999 qui prend ici la forme de trois vidéos au scénario identique se déroulant dans des cadres urbains différents et oralisés dans des langes différentes.
Chaussettes est un projet initié en 2000 invitant les habitants du quartier à faire don de leurs chaussettes dépareillées ; elles seront ensuite suspendues à intervalles réguliers sur des fils tendus en extérieur reliant entre eux les bâtiments.
A Rose is a Rose is a Rose est une reprise sonore et visuelle du poème de Gertrude Stein. Le divan piédestal de la salle d’attente d’hier est un divan blanc et rond sur lequel sont posés les journaux de la veille.

Karina Bisch expose quant à elle deux pièces plus signifiantes. Sa démarche est celle d’un peintre qui réalise des tableaux à partir de ce qu’il voit. Elle tire de ses promenades urbaines à la fois le motif et la motivation enjoués de ses toiles. Elle ne retient que l’organisation formelle de quelques façades qui la marquent et qu’elle transfère assez librement dans ses compositions. Le relevé libre et amusé de ces modénatures variées est en effet reporté à la surface de la toile dans une matérialité réaffirmée par l’épaisseur et le grain de la pâte colorée et fluide qui assouplit sensiblement la géométrie initiale des contours. Il en résulte ici (City, 2002) une série de tableautins quasi abstraits qui se déploient à la surface du mur, reconstituant fidèlement selon ses dires, la vue panoramique d’un paysage urbain.
Plus loin, For Memory désigne une série de petits blocs de plâtre respectueusement placés sous vitrine (ce pourrait être des moulages en plâtre de châssis toilés) recouverts, en impression noir et blanc, de couvertures d’ouvrages d’architecture. Ainsi se trouvent imprimés dans le plâtre les mots « Bauhaus » ou « Le Corbusier » et leurs illustrations correspondantes. La vitrine est surmontée significativement d’un tableau blanc élaboré sur le même principe que les tableautins dont il était question à l’instant, pour le panorama. Tout d’un coup, entre la peinture et l’architecture, entre les références modernes et l’art contemporain, entre les motifs d’hier et ceux d’aujourd’hui se tissent des liens simples et solides, optimistes et réjouissants. Cinq artistes ? Où se cache le cinquième ? Dans un bouquet de « sortie de métro » posé sur la table des publications liées aux œuvres. Sur un carton adossé au vase, le mot « Congratulations ». L’artiste Ben Kinmont dont le travail s’exprime principalement en terme d’action protocolaire qui l’engage, sans qu’il ait initialement rencontré les commissaires (ni même pris connaissance de la nature précise de l’exposition), leur demande de se faire adresser chaque semaine un bouquet de fleurs en guise de félicitations renouvelées. Le visiteur choisira ou non de s’associer à son geste.

Un commissariat associé de Hélène Chouteau et Julien Fronsacq.

Karina Bisch :
— City, 2002. 14 peintures réunies sur un mur, acrylique sur toile, petits formats.
— For Memory, 2002. Blocs de plâtre recouverts d’impressions noir et blanc

George Dupin :
— Les boutiques, 2000. Série de photos.

Ben Kinmont :
— Congratulations, 1995. Action.

Santiago Reyes :
— Le divan piédestal de la salle d’attente d’hier, 1999. Élément mobilier.
— Les Villes, 2002. Vidéos.
— A Rose is a Rose is a Rose… 2002. Photos et bande son.

Haegue Yang :
— Air and water, 2002. Éléments mobiliers métalliques.
— Traces of anonymous pupil-authors, 2000. Reproductions de dessins.

AUTRES EVENEMENTS PHOTO