ART | CRITIQUE

Substituts

PElisa Fedeli
@25 Mai 2011

Nicolas Roggy est un de ces artistes contemporains pour qui la peinture abstraite a encore quelque chose à dire. Se perdre dans ses compositions denses et miniatures est un régal pour les yeux, en même temps qu'une découverte tout à fait prometteuse.

Totalement abstraits, les collages, assemblages et dessins que Nicolas Roggy expose actuellement à la galerie CrèvecÅ“ur se distinguent de sa pratique habituelle, semi-abstraite semi-figurative. Mais ils s’en rapprochent par leur intérêt commun pour les théories visuelles des avant-gardes, autour des moyens irréductibles de la peinture que sont la couleur, la ligne et le plan.

Nicolas Roggy travaille à partir d’anciennes planches de trames, qu’il découpe, déchire et assemble afin de jouer sur différents effets de surface. Ses constructions abstraites jouent sur des ambiguités spatiales et semblent décrire des paysages. Dans chacune d’entre elles, une masse flottante, composée d’une myriade de formes géométriques fragmentées, se détache sur un fond le plus souvent monochrome.
Le format modeste (25 x 35 cm) renforce l’aspect foisonnant de ses Å“uvres et les rapproche des techniques traditionnelles que sont la miniature, la mosaïque, l’enluminure et l’héraldique, vouées qu’elles sont à saisir l’infiniment petit dans l’infiniment grand. Certaines évoquent les détails d’un pelage, fait d’écailles ou de plumes. D’autres sont moins complexes, moins saturées. D’autres, enfin, sont construites à partir d’une grille quadrillée, à l’instar des petits dessins de Paul Klee.

Ce qu’il y a d’extraordinaire chez Nicolas Roggy, c’est la manière dont il accumule les couches et les formes sans jamais les superposer. La feuille de papier est entièrement recouverte, soit de collages, soit de couleurs posées à la main. Lisse en tous points, la surface est uniformisée par la brillance éclatante d’un vernis. L’espace pictural se caractérise ainsi par une recherche de planéité, renouvelant les théories de Mondrian.

Plus loin, deux assemblages muraux revisitent la pensée des constructivistes russes sur l’emploi des matériaux. Nicolas Roggy réunit des tasseaux de bois et les recouvre par endroits d’une même couleur noire. Dans leurs parties brutes, les tasseaux laissent voir des accidents de surface: strates, veines et échardes. Au contraire, dans leurs parties plâtrées, ils sont lisses. Ainsi, le recouvrement de la surface permet de révéler des jeux de texture.

Dans la seconde salle de l’exposition, plusieurs dessins créent des effets optiques, dans l’esprit de l’Op-Art des années 1960 mais avec une palette chromatique plus restreinte. Le premier d’entre eux est un dyptique dont chaque pendant présente une accumulation de cercles concentriques, traçés finement. Chaque foyer vibre, de manière presque imperceptible. Une ligne centrale composée des trois couleurs primaires (rouge-jaune-bleu) vient les séparer, tout en vibrant elle aussi. En dépit du recours à des moyens simplifiés — la ligne et la couleur —, le dessin s’anime d’une vie intérieure.

Minutieuse et lente, la pratique de Nicolas Roggy échappe avec bonheur au décoratif et ne dévoile pas tous les mystères de sa technicité. Se perdre dans ses compositions abstraites, brillantes et denses est un véritable régal pour les yeux et convoque d’emblée l’ouïe, tant les vibrations qu’on y perçoit haussent la peinture au niveau de la musique. Un parallèle qui est loin d’être artificiel, quand on connaît par ailleurs les sculptures de l’artiste en forme de piano.

Å’uvres
— Nicolas Roggy, Sans titre, 2011. Mixed media sur bois. 39 x 29,5 x 2 cm
— Nicolas Roggy, Sans titre, 2011. Mixed media sur bois. 39 x 29,5 x 2 cm
— Nicolas Roggy, Sans titre, 2011. Mixed media sur bois. 38,5 x 29,5 x 2 cm
— Nicolas Roggy, Sans titre, 2011. Mixed media et collage sur papier. 70 x 56,5 cm

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