DESIGN | CRITIQUE

Studio Glithero

PMarine Drouin
@02 Oct 2009

Le duo néerlandais, âgé d'à peine un an, est avant tout animé par le goût des machines, de l’idée à l’apparition des pièces, révélant ainsi le processus et sa mécanique la plus belle : le temps.

Le Studio Glithero, formé par Sarah van Gameren et Tim Simpson, a déjà laissé trace de son passage dans plusieurs institutions de design à Londres, Tokyo et Milan. Sa démarche va pourtant à l’encontre de toute apparition spectaculaire. Il livre, avant l’objet en lui même, la démonstration de sa production, l’envers du décor. L’aura ne se dégage pas de la courbe du chandelier mais des rouages de la machine qui les engendre… lors de performances.
Nous partagerions volontiers cette fascination pour les cathédrales animées de cette petite industrie, mais la Fat Galerie manque de place pour accueillir les bras articulés, tuteurs en acier et autres cuves de l’appareillage baptisé Big Dipper.

Trois types d’objets sont exposés: quelques modèles des French, petits meubles en carton sur longs pieds de bronze; quatre exemplaires de la série A Brief Moment of Happiness, céramiques lambda imprimées à partir du négatif de végétaux; enfin, de petits chandeliers rouges et un noir plus monumental, Big Black Beast, fondus par les soins de Big Dipper.

Des French, on retient l’idée du processus en son entier. L’histoire de ces consoles graciles débute avec l’envie très simple de leurs commanditaires, un couple de collectionneurs français. Des tiroirs dans une vulgaire boîte ? Les designers sont descendus du piédestal de la commande pour bâtir le propre d’un meuble. Un carton traînait, restait à trouver de quoi l’élever du sol. Des pieds entre inspiration végétale et dorure ? Il s’agit moins d’un style colonial que d’une armature de bambou et de corde, coulée en un métal plus noble. Une valeur ajoutée à la fonction, le beau, et non sans ironie !
L’habillage de bronze et de papier gommé vient doucement moquer le lissage de nos angles domestiques. Le choix d’une technique empirique impose une imprécision plus humaine. Avec le temps, la série s’agrandit à l’instar de ressemblances familiales à la Wittgenstein, qui propose d’identifier un mot à son usage en liant nécessairement le langage aux gestes quotidiens.

Une énergie que l’on retrouve dans A Brief Moment of Happiness. Le quidam de l’objet : un vase. Au travail, un appareil. Rotatif, il applique la technique du « blueprint » sur une céramique au préalable enduite de solution photosensible. Après passage de la lumière, reste l’ombre blanche de quelques fleurs scotchées comme en un herbier, sur fond bleu de Prusse.
La part belle est laissée à un procédé minimal qui ménage un peu de temps à l’aléatoire. Ces teintes surannées vous évoquent un cliché de famille ? Le Studio y fixe l’empreinte de vies éphémères… Il n’est donc pas fortuit de penser aux notes de Roland Barthes sur la photographie. Chez Sarah van Gameren et Tim Simpson, le « ça a été » concerne le mouvement de la machine, indépendant de la main de l’homme au même titre que le passage du temps.

Car tout est affaire de durée. Big Dipper, calibrée avec un horloger, fabrique 24 chandeliers en 24 heures. Un procédé cyclique jusque dans son manège à la puissante régularité. Les mèches, attachées à des squelettes de chandeliers, sont plongées dans des cuves de cire, jusqu’à ce que les couches successives forment le galbe de lustres aux coulures gelées. A voir, le film qui documente son fonctionnement introduit une musique classique assortie à ses airs de ballet: deux grands supports circulaires alternent leurs mouvements ascendants et descendants. Un balancier qui voit progressivement l’oscillation des chandeliers s’amplifier, leur poids aidant, et qui produit la poésie élémentaire d’objets semblablement engendrés et tous uniques.

Noir et tentaculaire, Big Black Beast nourrit le désir d’un univers théâtral et fabuleux. Comme bon nombre de designers issus du Royal College of Art, le Studio Glithero jouit de l’âge tendre, celui que l’on pétrit d’expérimentations. La Fat honore régulièrement les résultats de cette pépinière ouverte à un design performatif et rigoureux. A suivre, donc, les frasques averties et féeriques de ces derniers nés.

Studio Glithero
— Les French (Laissez-faire, Petit-Déjeuner, Ménage à trois, Tête à tête, Coup de grâce), 2008. Carton, bambou, corde, habillage de bronze et papier gommé.
— Big Black Beast, 2008. Chandelier. Cire, balancier.
— A Brief Moment of Happiness, 2009. Vase. Impression blueprint.

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