PHOTO | CRITIQUE

Strings

PPaul Brannac
@15 Oct 2008

Le photographe allemand Wolfgang Tillmans a l’œil libre. Libre de se promener et de se poser où il veut, libre d’attribuer de la valeur aux choses qu’il voit, à toutes les choses.

Dans le travail photographique de Wolfgang Tillmans, le grossissement — du sujet et de la représentation du sujet — est le procédé principal, ce qui fait la valeur et la faiblesse de ses œuvres.
L’hétéroclisme des sujets rapportés par le photographe comme les variations de sa technique (noir et blanc, couleur, photocopies de clichés précédents, flous, netteté classique) questionnent ainsi le visiteur sur l’identité de l’auteur, sur la catégorie de l’œuvre : artistique, journalistique ou amateur.
A chaque fois, le sujet détermine autant le regard de l’artiste que les moyens de production de son image. Par la multiplicité des façons de voir, par son éparpillement peut-être, l’univers de Wolfgang Tillmans déroute.

Sur certaines de ses photographies, l’œil passe, indifférent, mais s’arrête sur d’autres, en scrute quelques unes puis passe encore, comme devant cette vidéo en plan fixe de petits pois s’agitant sous l’effet de l’ébullition (Peas, 2003) ; image rébarbative et triviale, égale à celle qui nous absorbe parfois aussi, le corps tout entier tendu vers le hublot, dans l’essorage automatique du linge tourbillonnant.

L’œil de l’artiste se pose donc partout, sur les espaces intimes, privés, publics et semi-publics, sur l’instant à chaque fois, car son œuvre avant tout est une mise en espace — le plus souvent réduite — du moment, de l’ici et du maintenant, captation spatiale de l’instantané.
Et lorsque ces instantanés prennent la forme de grandes pièces, on y perçoit comme un artifice quelque peu mortifère. La pétrification grand cadre de ces moments les fait basculer dans l’œuvre unique, dans l’œuvre de galerie, celle qui, prise seule, acquiert sa valeur de beau morceau, tandis que ce qui est émouvant chez Wolfgang Tillmans, c’est la sérialité de ses œuvres. C’est en effet ensemble — et en très grand nombre sans doute — qu’elles prennent un sens, que l’hétéroclisme du regard du photographe trouve les raisons de poursuivre son obsessionnel reportage du lieu et de l’heure.

Aussi les tables vitrées sur lesquelles le photographe a réparti ses sélections de documents iconographiques (coupures de journaux, papiers divers, photos de l’auteur) permettent de mieux saisir le sens du travail de l’artiste.
Chacune des revues de presse personnelles installées au centre de l’exposition s’organise autour d’un thème d’actualité tel que la violence homophobe ou la capture de Radovan Karadzic. A partir de cette Histoire immédiate, Wolfgang Tillmans construit des correspondances qui définissent chacun sous leur vitre un système de représentation, une création autonome.
Par elle, l’artiste s’approprie le temps, en synthétise l’esprit. «Le regard se promène et se pose et croit être en terrain neutre et libre», écrivait donc Koltès, c’est cette croyance-là que Wolfgang Tillmans réfute, tout est fonction du regard porté sur le terrain qui partant, n’est jamais neutre, et qui n’est que rarement libre. D’autres ont fait de même avec une acuité et une science du détour plus fines, avec une audace plus grande sûrement, mais c’est que ceux-là, sans doute, ont aussi une main et non seulement des yeux.

Wolfgang Tillmans
— Tamayo Lighter, Lighter 37, 2008. C-print, plexiglas. 61 x 50,8 cm
— Haircut, 2007. C-print. 61 x 50,8 cm
— Economy, 2006. Color photocopy. 42 x 29,7 cm
— Growth, 2006. C-print. 40 x 30 cm
— Paper Drop (Space), 2006. C-print. 145,2 x 211,6 cm
— An der Isar I, 2008. C-print. 181,2 x 264,7 framed

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