DESIGN | CRITIQUE

Still-Life

PFrançois Salmeron
@01 Fév 2013

A la croisée de l’art, du design et de l’architecture, Andrea Blum poursuit ses expérimentations dans bien des domaines. «Still-Life» rend effectivement compte de la formidable fécondité d’une œuvre polymorphe et inventive empruntant à la sculpture, au mobilier, à des maquettes de maison ou même à la scénographie d’une pièce d’opéra.

Les œuvres d’Andrea Blum déplacent les frontières, brouillent les catégories dont nous avons l’habitude de nous servir, et réconcilient avec bonheur le beau et l’utile. Table Rock Plant et Cactus apparaissent à la fois comme des sculptures ou des natures mortes végétales, et comme un mobilier pouvant trouver sa place dans une habitation, et pouvant alors servir de table ou de bureau. Ces deux œuvres comportent en effet un petit terrarium, sorte de monde végétal miniature, qui se trouve intégré à un élément de design: d’un côté, une table grise aux belles lignes épurées, d’un autre côté, un bureau en liège à la structure un peu plus alambiquée, où trônent quelques petits cactus.

«Still-Life» vient donc articuler un élément s’apparentant à une «nature-morte», à une matière statique et inanimée. Pourtant, végétal et matériau de design, en se côtoyant, créent un œuvre originale qui se veut avant tout vivante. Car d’après Andrea Blum, ces objets revêtent notamment un caractère fonctionnel. Ils sont faits pour intégrer nos vies, mieux, pour nous accueillir et créer un monde en soi. Table Rock Plant et Cactus appellent donc à être investis et «habités».

Mais outre le caractère purement fonctionnel que l’on peut volontiers leur prêter, ces deux œuvres ne s’épuisent pas dans la simple utilité qu’elles peuvent nous offrir (une table pour déjeuner par exemple, ou un bureau pour travailler). En effet, Andrea Blum insiste sur le fait que ses œuvres sont également un moyen de s’évader dans un autre monde, de laisser libre cours à nos penchants les plus rêveurs, comme s’ils offraient la possibilité de s’ouvrir à la méditation, à la rêverie, et de nous placer dans une certaine disposition de nous-mêmes qui n’aurait plus rien à voir avec les habitudes ou les comportements que nous adoptons dans la vie courante.

Ainsi, les œuvres d’Andrea Blum offriraient la possibilité de s’évader dans un autre monde. L’installation Birdhouse Cafe, que l’artiste avait déployée à la Maison Rouge en 2008, et qui se trouve aujourd’hui en Espagne, à Murcie, se veut certes comme l’extension d’un patio ou d’un café, lieu de sociabilité par excellence, mais surtout comme un «observatoire qui permet d’apprécier les oiseaux évoluant autour du bâtiment». L’art se déploie donc à partir de la vie. Il ne doit pas demeurer étranger à nos existences, il n’y a pas lieu de le repousser hors des limites d’un contexte familier.

En ce sens, Andrea Blum a également pensé des architectures de bâtiments habitables. Les maquettes de maison Rainbow House proposent par exemple un espace poétique et quasi utopique, dans lequel on peut néanmoins vivre. Rainbow House, c’est ainsi «vivre dans un arc-en-ciel», nous confie joliment l’artiste. Chaque pièce y a une couleur et une fonction spécifiques, afin de montrer encore que l’art et l’utile demeurent bel et bien fortement liés.

Aussi, les recherches sur ordinateur d’Andrea Blum ne se cantonnent-elles pas à de l’architecture. L’artiste effectue de nombreuses expérimentations à partir de structures dont elle sonde les capacités esthétiques. Au cœur d’un système, elle choisit un détail particulier et s’y engouffre. Nous avons ainsi l’impression de pénétrer dans des espaces pleins de fantaisie, où des formes flottent et où des lignes se trouvent carrément déformées. On pourrait croire que ces images de synthèse sont totalement fictionnelles, mais en réalité, non: elles se déploient à partir de structures spécifiques et sciemment élaborées.

Enfin, nous découvrons les travaux préparatoires qu’Andrea Blum a échafaudés pour la scénographie de l’opéra de Gaetano Donizetti, La Favorite, qui se tiendra au Théâtre des Champs-Elysées à partir du 7 février. Comment définir l’espace? Quelles couleurs et quelles luminosités lui prêter? Où placer les comédiens et où situer le chœur? Autant de questions auxquelles l’artiste a dû se confronter. Il en résulte un espace haut en couleurs qui s’affadit peu à peu pour finalement virer au noir et blanc, passant d’un palais de glaces et de chandeliers à un couvent reclus, où se réfugie l’héroïne afin de se couper des troubles du monde.

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