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Still Alive !

PMarine Drouin
@05 Juin 2009

Cri du coeur de l’agence Louis Paillard. Moins révolutionnaire qu’une avant-garde et plus pêchue que la majorité silencieuse, elle arbore la devise « No risk no fun », ironiquement spectaculaire. L’architecte associe aux projets routiniers une recherche fondamentale, une personnalité affirmée et une visibilité électrique. Pour transcender la commande et contre la frilosité ambiante.
   

Still Alive ! Au néon rouge pour une esthétique marketing, mais veillotte et grésillante. L’idée n’est pas de simuler un dynamisme ou de prétendre à la starification en vogue en architecture. L’enseigne clignotante signale un courant alternatif et branché : outre les outils classiques de représentation 2D et 3D, Louis Paillard utilise les codes de l’exposition pour une adresse à autrui essentielle.
   
En vitrine, ses humanités. Un cabinet de curiosités préliminaire où l’on peut lire la matrice de son travail entre les lignes de ses lectures: roman noir, érotique, bande dessinée, Bunker archéologie de Paul Virilio ou encore Las Vegas Parano de Hunter S. Thomson. Deux globes terrestres disent sa fascination pour la géographie qui montre le partage du monde. Et ses projets en forme de petits icebergs grisâtres, bunkers miniatures étiquetés d’un matricule autour desquels patrouillent des figurines de guerriers ou d’explorateurs. Un crâne orange fluo, enfin, en guise de vanité.

Puis un cerf de même couleur, plus robuste qu’élégant, nous invite à lire les images fortes de scénarios d’interventions rapides en ZUS (consultation Grand Pari(s) pour Jean Nouvel). Le contexte ? L’heure où le pouvoir en France revient flirter avec l’architecture, et voudrait signer une mutation significative pour la capitale. Menacés d’être avalés, les quartiers sont représentés de manière inquiétante: les ciels rouge et violet sont orageux, au-dessus d’un « parc aux cerfs » en référence au roman de Norman Mailer (qui décrit le lupanar d’Hollywood à l’image de celui de Versailles), ou d’un Grand Prix de Formule 1 à la Steve Mac Queen.

A l’échelle de la commande, souvent banale et dont Louis Paillard veut relativiser l’importance (réinterprétant le magnanime « l’intendance suivra »), les incongruités ne s’effacent pas, mais intègrent le bâti selon les caractéristiques suivantes.
Ses constructions sont massives. Marqué par les maisons solides, franches et autonomes de la Suisse, il dessine des volumes compacts comme la première des protections. Mais chacun trouve une solution pour être là sans se fermer comme un blockhaus, même si l’architecte aime ses qualités d’objet sans concession et résistant au sens militaire (l’iceberg en est la version inoffensive). Ainsi, il superpose habitat individuel et atelier (The Crims on Foxy Lady Trapeze House), mais y dégage un espace à vivre étonnant, et dresse un relief géologique et vitré pour le lieu de travail. De même, l’extension de l’hôpital Robert Debré (The Child’s Big Teddy House) est une entité épaisse et d’un bloc, rendue aimable par des angles arrondis et sa forme en boomerang, qui diverge de l’ensemble et produit du territoire en son sein.

Leur corpulence ne rend pas ces bâtiments moins poreux. Le revêtement de The Green Gazelle laisse respirer un interstice végétal entre une façade en accordéon et sa peau grillagée ; les plis et replis des Beaux-arts de Valenciennes sont perforés : sa surface est-elle constellée, mouchetée ou rongée par un virus ? Quant à celle de The Great Deer and Cooper, Gold and Silver Stone, elle assume en sourdine la destination bourgeoise de ses logements avec un motif imperceptiblement semblable aux tapisseries bucoliques.

Enfin, leurs ouvertures et l’usage excessif de la couleur célèbrent une attitude radicale. Ainsi, l’hôpital des enfants minimise leur isolement au moyen d’une multitude de fenêtres comme autant de caissons de lumière. Chacun diffère par ses dimensions ou sa profondeur, signalée par une couleur vive: l’ensemble reprend le dégradé d’un arc-en-ciel.

A noter les titres littéraires, qui réintroduisent du récit dans nos modes d’habitation. Et la suspension des maquettes en orbite. Epanchées, elles disent la passion de l’architecte pour les anamorphoses: construire à l’instant t. C’est « l’hyper-réalité du programme », la liqueur du contexte à recueillir pour créer des bâtiments réactifs. Un apprentissage du danger pour une architecture qui ne soit pas empêchée.

Louis Paillard
— Maison Trapèze (Montreuil-sous-Bois), mai 2009. 270 m2.
— Maison Trapèze (Montreuil-sous-Bois), mai 2009. 270 m2. Intérieur.
— Ecole des Beaux-arts (Valenciennes), 2006.
— Institut d’études avancées, Maison des sciences de l’homme – Bureaux et logements, Nantes, 2005-2008. Intérieur.
— Institut d’études avancées, Maison des sciences de l’homme – Bureaux et logements, Nantes, 2005-2008. Extérieur.

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