PHOTO | CRITIQUE

Stephen Wilks

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Le travail de Stephen Wilks s’inscrit dans cette longue et riche tradition qui fait de la capture photographique, dans le mouvement même de la déambulation, le moyen de saisir le réel urbain.

Le travail de Stephen Wilks s’inscrit dans cette longue et riche tradition qui fait de la capture photographique, dans le mouvement même de la déambulation, le moyen de saisir le réel urbain.

Des feux rouges poussent au milieu des arbres, un pack d’eau minérale embrasé par la lumière du couchant se métamorphose en auréole miraculeuse. Jouant du cadre et de l’instantané, le photographe fait surgir de l’ordinaire et du quotidien des motifs quasi fantastiques, dont la tendre ironie n’est pas sans rappeler celle des anecdotes visuelles d’un Kertész. Mais la ville a changé. Bien différente du Paris des années trente, elle s’est faite périphérie, étendue déliquescente, gangrenée de provisoire et de détritus. Le bâti devient accessoire, et le citadin s’efface dans le passage rapide des véhicules. Objets et décors sans qualité sont saisis dans des juxtapositions surréalistes — des robes printanières, rouges et jaunes, flottent dans l’interstice incertain d’une bordure de chemin de fer, devant un train, jaune et rouge —, ou à l’état de déchets contaminateurs — un congélateur béant sur la neige, des tessons de bouteilles charriés par un escalator —, ou encore de détails que la vertu égalisatrice de la photographie surcharge d’insignifiance – point miroitant, et dérisoire, d’un avion dans le bleu du ciel, traces de doigts graisseux sur une porte vitrée, superposées aux logos multicolores des cartes de crédits. Soit un inventaire hétéroclite des incongruités symptomatiques que recèle un espace urbain délétère, établi au moyen du vocabulaire formel de base du flâneur photographe: cadrage serré, composition centrée ou frontale, instantanéité.

De l’incongru, Wilks en provoque en surplus, en promenant sur son dos un gros âne en feutre rembourré. De petits tirages de qualité amateur, collés à même les murs, témoignent de la réaction amusée des passants, de l’émerveillement des enfants, et du grotesque de certaines situations. Des références à l’histoire de l’art récente sont ironiquement réveillées. Sous la neige, on pense à Joseph Beuys, qui fit du feutre une matière fétiche de son œuvre. Ou l’on sourit d’un clin d’œil à l’Arte Povera, quand, couché sur un trottoir, l’âne semble plongé dans une profonde méditation: son dos porte en grosses lettres manuscrites le fameux «Que faire ?» de Lénine, maintes fois repris par Mario Merz.

D’ailleurs, l’âne est là, étendu et désœuvré, dans la deuxième salle d’exposition, accompagné d’une boîte contenant encore des dizaines d’images qui témoignent de ses pérégrinations urbaines. Une enfilade de situations laissées à la libre disposition du spectateur: à charge pour lui de tirer le fil, et de remonter en surface les scories de fictions que recèle la ville, où l’objet, et la consommation qu’il suppose, sont devenus les seuls, et désormais nécessaires, médiateurs des relations interhumaines.

— Voyage avec mon âne, 2000. Photo couleur. environ 80 x 120 cm.
— Sans titre (périphérie est de Berlin), 1999-2000. Sept photo couleur. Environ 80 x 120 cm chacune.
—Sans titre, 2002. Douze photo couleur. Environ 50 x 80 cm chacune.
— Voyage avec mon âne, 2000-2002. Tirages couleur 9 x 13 cm. ne en feutre rembourré.

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