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Stephen Vitiello, Wind in the House…

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Trois salles et trois installations pour des dialogues entre le son et l’image. Le son tente de décrire ce que l’image ou l’installation n’arrive pas à traduire. L’œuvre présente des courbes et des lignes ou des jeux de lumières que le son ne pourra jamais totalement reproduire.

Stephen Vitiello poursuit son amarrage chez Almine Rech, après avoir occupé la petite salle de la galerie au moment de l’exposition James Turrell. Il y proposait alors une série de subtiles photographies où se découpaient, dans le vide d’un New York en retrait, des écouteurs collés à la vitre d’un immeuble.
Le voici désormais seul dans un aménagement en trois salles.

Trois salles et trois installations : chacune d’elles envisage la correspondance entre le son et l’image.
Un dialogue même pourrait-on dire tant Vitiello semble ne jamais penser l’un sans l’autre. Le son, perceptible ou non, tente de décrire ce que l’image ou l’installation n’arrive pas à décoder, c’est-à-dire cette lancinante pulsation qui rythme l’espace. Et inversement, la puissance visuelle de l’œuvre décrit des courbes et des lignes élastiques ou bien anime des jeux de lumière que le son ne pourra jamais totalement reproduire.
Chez Vitiello, les deux se rejoignent aisément, notamment lorsqu’il aborde dans son travail le mécanisme du temps. Qu’il soit figé ou en mouvement.

La première installation donne le titre de l’exposition : « Wind in the House, Wind in the Threes » (2005). Elle se compose d’une série de douze enceintes suspendues à mi-hauteur, en alignement et décrivant un mouvement assez ample, du haut vers le bas puis de nouveau vers le haut. Une vaste courbe caractérisée par la position quelque peu statique des éléments. Seules les vibrations régulières, imperceptibles à l’oreille humaine, soulèvent les enceintes.
Voilà bien le premier paradoxe et la première correspondance de ce travail. Bien qu’incontestablement présent, le son s’efface devant l’image (ici une vague) qu’il pourrait pourtant produire. Cette courbe muette n’en est pas moins son écho. Et cette inquiétante fuite vers la cimaise de la galerie, le rappel que la nature sait se révéler impétueuse. Le titre en témoigne : il se réfère d’ailleurs à un enregistrement réalisé précédemment pendant une nuit de tempête.

Rendre physique une impression sonore. Afficher tout autant sa force et la fascination qu’elle peut produire chez l’homme. Le projet de Vitiello ne saurait se soustraire de la part purement scientifique qu’il contient.
Red Sequence (Light Readings) (2005) reprend un projet initié dès 1999 au moment où l’artiste affinait son approche du son. Il l’utilisait pour le jumeler à la lumière, à partir de cellules photoélectriques disposées dans son atelier.
Red Sequence retrace le parcours d’une image vidéo fixe pointée sur des lumières nocturnes que des cellules photoélectriques enregistrent également. Celles-ci découpent l’image avant qu’elle ne soit ensuite traitée par un synthétiseur vidéo et traduite en fréquence audio. Le cheminement et le perpétuel déplacement du son sur l’image produisent des pulsations inconnues, à la lisière du psychédélisme et d’une respiration bionique. Comme si la lumière filmée devenait un corps autonome, vibrant d’un mouvement intérieur.

Si la lumière parle à travers l’image dans l’installation précédente, le son chez Vitiello sait produire sa propre énergie visuelle.
La dernière salle plante une atmosphère lugubre où deux fauteuils noirs se perdent dans un environnement entièrement blanc, d’un blanc de linceul tout désigné pour le recueillement. La pièce intitulée 9-11-02 fait référence à la cérémonie du premier anniversaire de la destruction des deux tours du World Trade Center. Un rassemblement qui a lieu simultanément au Ground Zero de Manhattan et à Washington, près de la Maison Blanche.
Stephen Vitiello profite de ce moment où la nation américaine se plonge dans le souvenir pour saisir l’instant du discours donné à New York par Michael Bloomberg, le maire de la ville. On perçoit toute l’émotion dans la voix de l’orateur et dans le silence qui accompagne ses paroles, la ferveur de tout un peuple.
Mais Vitiello ne s’arrête pas là : sa bande son, qui dure environ 12 minutes, reprend le format original des deux minutes de discours, le rediffuse cinq fois en y intégrant à chaque reprise une déformation sonore supplémentaire. Le discours de Bloomberg, le claquement de flashs des photographes puis la minute de silence dans un New York quasiment à l’arrêt, deviennent progressivement irréels et de plus en plus lugubres. Le son se fait spectre, Vitiello amplifiant les bruits secondaires et allongeant certains autres, notamment la série des flashs.
Dès lors, le son se fait également témoin d’une Amérique atteinte dans sa chair, plongée à l’excès dans la commémoration du drame et dans l’édification du mythe sécuritaire. Cette petite musique lancinante et névrotique que fabrique Vitiello résonne comme la fin du rêve de la douce Amérique.
Aujourd’hui encore, son écho se prolonge et retentit jusqu’à déborder largement les frontières.

Stephen Vitiello :
— World Trade Center Recordings : Winds After Hurricane Floyd, 1999-2002. C-Print, DVD enregistré du 91e étage du World Trade Center. 8’.
— Soft Pipes, Play on (Sung if I Could Sing), 2005. Techniques mixtes. Dimensions variables.
— Wind In the Trees, 2005. 12 enceintes, lecteur DVD modifié, ampli 6 canaux. Dimensions variables.
— 9-11-02, 2002. 5 installations sonores, DVD audio.
— Red Sequence (Light Reading). DVD Vidéo.
— Sound Filled Clouds, 2003. Diptyque, photos couleur sur papier. 84 x 61 cm (chaque).
— Listening to Judd, 2003. Diptyque, photos couleur. 51 x 61 cm (chaque).
— Empire State Building (Wordless/Soundless)**, 2004. Photo couleur sur papier Arche.

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