ART | CRITIQUE

Spy numbers

PSarah Ihler-Meyer
@06 Juil 2009

Spy numbers met en lumière une des tendances les plus en vogue de l’art contemporain: l’exploitation du potentiel fictionnel de la science. Les artistes ici rassemblés explorent l’impact des technologies sur l’imaginaire collectif et la façon dont elles ravivent la théorie d’un complot planétaire.

Dès la première salle le ton est donné. Trois tubes blancs horizontaux émettent des sons inquiétants. Interférences radiophoniques, ondes électromagnétiques… Difficile dans un premier temps d’identifier la nature de ces bruits. Seule s’impose l’impression d’être en présence d’un phénomène paranormal. La lecture du cartel soulève le voile: il s’agit d’une installation de Pascal Broccolichi, Sonotubes, destinée à capter l’activité électromagnétique du Palais de Tokyo.

On l’aura compris, Spy numbers fait appel à l’inquiétante étrangeté contenue dans les technologies. Dans la salle suivante, Dove Allouche et Évariste Richer exposent la réplique d’une ancienne chambre vide, Terrella, conçue au XIXe siècle par Kristian Birkeland afin d’expliquer les aurores boréales. L’aspect de cet appareillage —canon à électrons, pompe à vide, aimant—, rappelle les films de science-fiction, dans lesquels des scientifiques se livrent à d’inquiétantes expériences.

De fait, Terrella suscite les questions suivantes: serait-on en face d’un phénomène surnaturel? Nous cache-t-on les preuves d’une vie extra-terrestre? En d’autres termes, cette installation joue elle aussi sur les fantasmes paranoïdes alimentés par les technologies.
Dans le même esprit, Numbers Station de Matt O’Dell se présente comme une antenne réceptrice d’étranges signaux. Une tour d’environ quatre mètres de haut diffuse par intermittences des bruits, parmi lesquels on repère des voix égrainant des séries de nombres. S’agit-il de messages cryptés? Qui est la source de ces émissions? Autant d’interrogations teintées de mystique et de spiritisme.

Dans ce climat mystérieux, impossible de ne pas percevoir les trois roches de To Lower the Mountains, le rhomboèdre noir de For V.T. ou encore Heap, sorte de monstre visqueux, comme les spécimens d’une autre galaxie. Impossible aussi de ne pas voir dans le pan de mur déchiré (Omission) la trace d’un événement énigmatique.

Everyday sight/Tribute to Aldous Huxley de Norma Jeane repose également sur le potentiel fictionnel de la science. En référence explicite au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, deux petites cuves transparentes contiennent des lentilles de contact collectées au cours d’une année. Similaires à des éprouvettes de laboratoire, ces pièces ravivent des angoisses relatives au devenir de l’humanité, en l’occurrence menacée de clonage. Serait-ce possible de préprogrammer la vision de toute une génération d’individus? Et si oui, à quelles fins?

Loin des rumeurs sur une hypothétique conspiration planétaire ou vie extraterrestre, les photographies de Ken Gonzales-Day, d’Arthur Mole et de John Thomas situent le mystère au cœur même de l’homme.
Erase Lynching reprend la photo d’un groupe de personnes qui font  face à des pendus, mais ici effacés par l’artiste. Tournés vers un ciel noir, cet attroupement prend un caractère énigmatique. Mais, en définitive, l’énigme n’est autre que la fascination qu’ont les hommes pour l’horreur.
Linving photographs, images de milliers d’individus rassemblés pour former des symboles nationaux, recèlent un mystère du même ordre: comment expliquer les phénomènes de masse?

Davantage qu’à l’extérieur, l’énigme est à l’intérieure.

Dove Allouche et Évariste Richer
— La Terrella, 2002. Acier inoxydable, verre, canon à électrons, pompe à vide, aimant. 180 x 70 x 70 cm.

Pascal Broccolichi

—  Sonotubes, 2006. Dispositif sonore composé de trois modules de diffusion. 130 x 40 x 600 cm chaque module.

Luca Francesconi
—  To lower the mountains, 2005. 3 pierres de montagnes, socles en bois. Dimensions variables.

Ken Gonzales-Day
—  Erased lynching, 2006-2009.

Norma Jeane
—  Everyday sight/Tribute to Aldous Huxley, 2003-2004. Lentilles de contact jetables, solution à usages multiples, boîtes de Pétri.

Arthur Mole et John Thomas
—  Living photographs, 1918. Photographies noir et blanc.

Mat O’Dell
—  Numbers Station, 2008-2009. Bois, haut-parleurs, piste audio. 450 x 124 x 124 cm.

Felix Schramm
—  Omission, 2008. Plaque de plâtre, métal, bois, argile, peinture. 700 x 900 x 3500 cm.

Jim Shaw
—  Heap, 2005. Jouets McDonald’s, polystyrène en spray pour plastique, résine, tiges métalliques. 162 x 61 x 195 cm.

Tony Smith
—  For V.T., 1969. Bronze soudé, patine noire. 71 x 142 x 213 cm.

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