ART | CRITIQUE

Souviens-toi de Maryse Lucas

PCéline Piettre
@16 Juin 2008

L’œuvre d’Artus de Lavilléon se fraye un chemin entre références intimes et enjeux politiques. De retour chez Patricia Dorfmann, l’artiste indiscipliné impose encore une fois son style et son imagerie populaire.

Á première vue, la dernière exposition d’Artus de Lavilléon présentée chez Patricia Dorfmann a tout de l’exhibition conventionnelle : toiles harmonieusement alignées, cartels précis et blanches cimaises. Rien qui ne rappelle son précédent passage dans la galerie, en 2006, où plus de 300 œuvres, supports et techniques confondus, se disputaient l’espace selon un principe d’accumulation digne des installations de Ben — mais dans une version punk. Sa chambre, reconstituée pour l’occasion, menaçait les plus vulnérables de son désordre intime et choquait les plus prudes à coup d’images pornographiques et de slogans nihilistes.

Ce trublion du milieu artistique, fondateur de l’art posthume, cet inconditionnel des écrits de Guy Debord, cet indiscipliné des rampes de Skate célèbre pour avoir vécu trois semaines dans la vitrine du Printemps, à Paris, serait-il devenu sage ? Prêt à intégrer définitivement cette Société du spectacle tant décriée, cette économie de l’art-marchandise et du «scénographiquement correct».
L’exposition sonne t-elle la fin d’un règne du chaos, d’une petite révolution intellectuelle et plastique, surgie des cendres encore fumantes du lettrisme et de l’Internationale situationniste, rares vestiges des avant-gardes et des idéologies révolues?

Peut-être… Mais l’artiste-écrivain-usurpateur, désormais retiré à la campagne, a su garder intacts cette ironie ordurière, ce négationnisme bon enfant véhiculé à grand renfort de slogans et de jeux de mots, cette esthétique du vulgaire, proche de la bande dessinée, nourrie par la fréquentation assidue d’un univers urbain en pleine explosion.
Graffitis, affiches collées et déchirées — qui rappellent les nouveaux réalistes et les revendications sociales —, références explicites au cinéma hollywoodien, usage de l’écriture manuscrite et de la rature, son travail s’identifie directement à la culture populaire qui l’a fait naître. «L’art, c’est la vie», clame t-il effectivement dans les premières lignes de son Manifeste de l’art posthume, rédigé en 2003 avec ses acolytes Daniele Tedeschi et Aleksi Cavaillez dans une perspective critique et radicale et pour un résultat qui frise parfois la caricature. Mais qu’importe, nous répondrait sûrement ce fervent défenseur de l’amateurisme, désintéressé qu’il est des jugements de valeurs et des académismes en tout genre.

Réalisées à la suite d’un récent voyage en Chine, les œuvres présentées ici — affiches et huiles achetées sur place puis retravaillées par l’artiste, dessins à l’encre inspirés de films hollywoodiens — témoignent d’une certaine réalité sociale et politique. D’un côté, la Chine, son optimisme démographique et économique symbolisé (paradoxalement) par un Mao confiant et éclairé, converti malgré lui au capitalisme.
De l’autre, l’Amérique de la ruée vers l’or, des westerns, qui, une fois couchée sur le papier, révèle la sclérose d’un capitalisme vieillissant par le décalage entre les textes et les images, et l’absurdité qui en découle. Les dialogues retranscrits par l’artiste, mélange de citations cinématographiques et de réflexions personnelles, les visages expressifs, figés en des poses outrées, font acte d’une propagande déguisée, d’un autoritarisme culturel qui s’apparente lointainement à celui de la Chine communiste…

Ainsi, l’artiste collecte le réel et se le réapproprie par différentes interventions — sample, écriture à la craie, collage — pour rendre compte de son vécu et de sa perception du monde. Ailleurs, il en fabrique des répliques, jouant des effets du subterfuge, comme pour cette fausse palissade, où l’on peut lire, en lettres d’or, LIFE (vie) ou LIE (mensonge), selon si l’on prend en compte ou non la dégringolade de la lettre F.

Décidément, Artus de Lavilléon est un malin qui prend plaisir à semer le doute. Il troque ici un art quelque peu égotique contre une œuvre «engagée» dont les enjeux dépassent sa seule personne, accordant une portée universelle à sa petite révolution domestique. Souviens-toi de Maryse Lucas (sa mère) prouve que l’art au XXIe siècle peut-être encore politique sans pour autant se prendre au sérieux.

Artus de Lavilléon
Capitalism turned into a fucking bitch !, 2008. Craie et huile sur toile. 91 x 67 cm
Dude where is my country ?, 2008. Craie et huile sur toile. 91 x 67 cm
Souviens-toi de Maryse Lucas, 2008. Graffiti historique. 122 x 250 cm
Lil(F)E Hommage à Rico Saxy, 2008. Technique mixte sur bois. 120 x 80 cm
Today is the first day of the rest of your life, 2005. Acrylique sur toile. 61 x 46 cm
She is confused, 2008. Acrylique, craie, et huile sur toile. 155 x 125 cm
Elle doute, 2008. Acrylique, craie, et huile sur toile. 225 x 180 cm
Vaincus, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Just be yourself, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Man’s nature, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
My Failure, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Why are they doing that to me, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Un type plein d’idéaux, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Off to a bad start, 2008. Encre de chine sur papier. 160 x 110 cm
Just order me a cheese burger, 2008. Encre de chine sur papier. 110 x 80 cm
Nothing yet, 2008. Encre de chine sur papier. 80 x 110 cm
Dude, where is my money, 2008. Encre de chine sur papier. 110 x 80 cm
S(A)IN(T), 2008. Encre de chine sur papier. 110 x 80 cm
S(T)UCK, 2008. Encre de chine sur papier. 110 x 80 cm

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