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Souvenir d’Italie

PEmmanuel Posnic
@25 Mai 2010

Habitué à interroger les lieux de mémoire collectifs, voici Luca Vitone jetant, avec son exposition «Souvenir d'Italie», un regard cinglant sur l'histoire politique récente en Italie. Utile et sans concession.

Trois Å“uvres pour seule démonstration. L’exposition de Luca Vitone peut se parcourir en un clin d’Å“il. Si ce n’est que son sujet aborde le drame de l’histoire politique italienne de ces vingt dernières années, on aura compris que le discours de et sur l’Å“uvre dépasse largement ce qui est à voir.

Au centre du dispositif, une grande bannière sur laquelle sont inscrits 959 noms, parmi les grandes figures politiques, religieuses, économiques, juridiques, militaires et médiatiques de la péninsule.
Ces noms sont accompagnés de la mention suivante (traduction de l’italien): «En l’an XVI de la Seconde République, à ses meilleurs fils, fondateurs de la Patrie, pour leur engagement et leur sacrifice, l’Italie dédie cette stèle aux mémoires futures».

Une oraison funèbre qui met en scène les membres de la loge «P2» comme Propaganda Due. Une loge pseudo-maçonnique, émanation indirecte du Grand Orient d’Italie, dirigée par l’ancien serviteur du régime mussolinien Licio Gelli.
Pourquoi cette mise en scène baroque? Parce que la loge «P2», pourtant dissoute en 1981, est à l’origine de la Seconde République italienne, née en 1994 de la liquidation des vieux partis traditionnels et de la fameuse opération «Mains propres».
Le «Programme de renaissance démocratique» tel que l’invente Gelli dès les années 70 promet le retour d’un État autoritaire. Silvio Berlusconi incarnera à merveille cette renaissance, tout comme Romano Prodi deux ans plus tard. Des hommes de coalition en quelque sorte, à même de répondre à l’instabilité politique chronique de la Première République.

Mais redresser l’État n’implique pas forcément le renouvellement de ceux qui le dirige. Parmi les 959 noms de l’inquiétante loge «P2», certains figurent encore parmi les plus influents d’Italie. Vingt-neuf ans après la dissolution de la loge, seize ans après l’instauration de la Seconde République. Un exemple: Silvio Berlusconi lui-même.
Plutôt que de cibler ses attaques sur le Cavaliere, Luca Vitone s’adresse au contraire à tous, les nommant tous sans distinction et ce faisant, pointe le doigt sur la déliquescence du contre-pouvoir en Italie, si tant est que celui-ci, à force de compromission et de confusion, ait pu un jour exister.

La sentence de Luca Vitone cueille le spectateur à froid. Son Souvenir d’Italie n’a rien d’une ritournelle estivale, il situe plutôt son désappointement et sa critique aigue du système. Et en interrogeant les faits, les acteurs, les lieux de mémoire, il fouille la vérité nue de l’histoire dans un inconscient collectif fragilisé par le doute et les mensonges officiels.

Plus loin, dans deux petits collages, Luca Vitone met en parallèle Le Quirinal, le palais de la présidence de la République italienne, avec un élément parasite. Ici, occupant le bas de la feuille de papier, les traces tangibles d’un incendie. Et là, au bout d’un col de tunique d’apparat, un morceau d’une carte topographique dans lequel s’inscrit la villa Wanda d’Arezzo, l’actuelle résidence surveillée de Licio Gelli, maître de l’ancienne loge P2, largement soupçonné d’être impliqué dans de nombreux crimes politiques de l’histoire récente, aujourd’hui tranquille nonagénaire en fin de vie.

Ainsi va la douce comédie à l’italienne. Les fondations chancèlent mais ne s’écroulent pas. Et la prescription s’active à enterrer les paroles véhémentes. Celles de Luca Vitone viennent peut-être trop tard. Qu’importe, son regard n’est pas celui de l’historien. Fragmentaire et sardonique, il n’est pas si éloigné du caricaturiste ou du clown triste. A l’entrée de la salle, Luca Vitone avait gravé sur une plaque de marbre le symbole des francs-maçons, l’Å“il irradiant depuis un triangle parfait, avec inscrit la mention «Souvenir d’Italie». Comme un appel à la fois funèbre et pathétique.

— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (In fiamme), 2010. Photographie sur papier brûlé.
— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (Villa Wanda), 2010. Carte topographique et dessin sur papier.
— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (Lapide), 2010. Plaque de marbre gravée.
— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (Nell’anno XVI della Seconda Repubblica, a ricordo dei suoi figli migliori, fondatori della patria, l’Italia dedica per il loro impegno e sacrificio questa lapide a futura memoria), 2010. Impressions photo sur papier. 500 x 600 cm.
— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (Monumenti), 2010
— Luca Vitone, Souvenir d’Italie (Lupo), 2010

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