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Souvenir

En entrant dans l’exposition «Souvenir» du photographe Ruud van Empel, à la galerie Magda Danysz, on est frappé par la couleur verte et criarde des photographies qui rappellent les peintures du Douanier Rousseau : le détail est ici poussé à son paroxysme, à une perfection qui est aux limites de l’esthétique. 
Quant à la méthode, Ruud van Empel s’inspire des travaux de certains grands artistes de la seconde moitié du XXe siècle qui travaillent avec la photo, comme Gerhard Richter pour L’Atlas. Comme lui, Ruud van Empel collecte des photographies de tous types et les classe par thèmes: « fleurs », « insectes », « enfants »… Il réalise ainsi ses Å“uvres par montage de photos qu’il retravaille sur ordinateur à l’aide de Photoshop.

Mais trop évident, le travail de l’ordinateur gomme toute émotion, les modèles sont comme figés, dénués de vie. Si une dimension surréaliste est perceptible, les images n’ont pas la spontanéité et l’onirisme de beaucoup d’œuvres surréalistes, ni la dimension de hasard des réalisations de Marcel Duchamp: les images de Ruud van Empel, qui ont demandé parfois toute une année de réalisation, sont trop sophistiquées et dépourvues d’onirisme, chaque détail est méticuleusement disposé, la jungle que traversent les enfants est bien trop étudiée.

Quant aux enfants, Ruud van Empel affirme les choisir dans le but de révéler l’innocence et la beauté. Tandis que Dawn (2008) présente des enfants à la peau claire étendus dans une prairie, la série World (2005) ne contient que des enfants noirs dans les forêts denses d’Afrique.
On est plongé dans un monde utopique, voire mythologique, parfois proche de celui de Pierre et Gilles qui n’hésitent pas à attribuer le symbole de l’innocence à des enfants de couleur plutôt que, de façon plus convenue, à de petites filles blondes.

Contrairement à l’usage ordinaire de la photographie qui fixe les détails, les modèles sont souvent totalement dépersonnalisés par la suppression de toute forme d’expression. Ce qui constitue un monde symbolique, où tout semble perfection, innocence et éternité.

La seconde série de photos, dans lesquelles sont disposés sur une table des objets du passé — comme la Boite à valise de Marcel Duchamp —, est consacrée aux souvenirs de famille. Le décor est soigneusement dressé, rideaux et papiers peints nous plongent dans les années 60.

Par le biais d’un petit garçon à l’air malicieux, Ruud van Empel nous précipite dans sa vie et son enfance, et nous livre des indices. Souvenir n°2 où trois petits écrins renferment des dents de lait aux côtés de trois actes de naissance laisse deviner une fratrie de trois enfants.
Dans Souvenir n°3 est reconstituée la cuisine où pendent des ustensiles appartenant à la famille van Empel, aujourd’hui rouillés, depuis longtemps inutilisés.

Selon Victor Hugo, «créer, c’est se souvenir». En écho, Henri Bergson affirmera que la mémoire ne peut être restituée qu’à travers un médium artistique, quel qu’il soit. Certains peintres dénieront évidemment à la photographie toute faculté de remémoration. C’est dans ce vieux débat qu’intervient ici Ruud van Empel qui… revisite le paradis perdu à travers l’enfance et la photographie.

Ruud van Empel
— TZR Galerie Kai Brückner, Düsseldorf, Germany
— Stux Gallery, New York, USA.
— Leica Galerie LGP, Prague
— Center for Creative Photography, USA
— Souvenir n°1, 2008. Cibachrome. 59,5 x 84cm
— Souvenir n°2, 2008. Cibachrome. 84 x 50 cm

— Souvenir n°5, 2008. Cibachrome. 84 x 50 cm
— World n°32, 2008. Cibachrome. 59,5 x 84 cm

— World n°27, 2008. Cibachrome. 84,1 x 118,9 cm

— World n°29, 2008. Cibachrome. 84,1 x 118,9 cm

— Dawn n°3, 2008. Cibachrome. 59,5 x 84 cm

— Dawn n°5, 2008. Cibachrome. 105 x 150 cm