ART | CRITIQUE

Soudain… la neige

PFrançois Salmeron
@15 Jan 2016

Plus qu’une évocation de la matérialité de la neige ou des souvenirs et de l’émerveillement qu’elle produit en chacun de nous, cette exposition, "Soudain… la neige" explore le sens métaphorique de cette notion, entre effacement, recouvrement et dissolution du visible, faisant la part belle à des dispositifs photographiques, filmiques, ou à des écrans blancs.

En plein cœur d’un hiver que l’on nous annonce comme l’un des plus doux de l’histoire, la MABA réveille notre fascination pour la neige, et convoque l’imaginaire, les fantasmes et les réminiscences qui enveloppent cette notion. Mais si les premières œuvres exposées font directement référence à la neige, à sa matière, aux souvenirs d’enfance qu’elle rappelle, aux strates qu’elle constitue sur les sols et les paysages, peu à peu, les travaux des artistes prennent un sens plus métaphorique: il s’agit désormais de se référer à la neige comme évocation de l’effacement, du recouvrement, de l’écran blanc, ou de la dissolution du visible.

L’accrochage pensé par Caroline Cournède est aéré, il joue sur le registre de la discrétion et de la délicatesse. Une grande place est ainsi faite à des dispositifs photographiques ou à des projections vidéo qui s’articulent autour du vide, du blanc, de la dilution de l’image. Ici le référent n’adhère plus. Il s’élude bien souvent, il s’efface, il tend vers l’abstraction plutôt que vers une représentation intégrale de ses qualités plastiques.

Cristaux, ombres et lumières, traces incrustées, brindilles apposées sur la couche neigeuse: on retrouve bel et bien dans les photos de Philippe Durand une armada conceptuelle conséquente pour avancer sereinement dans le parcours de l’exposition (matérialité, luminosité, empreinte, jeu de surface ou de recouvrement, empilement de strates).

La vidéo de Valérie Sonnier nous replonge dans une enfance rêvée, mélancolique, archétypale. Une caméra rasante se promène aux abords d’une grande maison de famille déserte, comme vestige d’une jeunesse évanouie. Tous les clichés de Noël y sont réunis: bonhomme de neige, sapin, luge, cheval à bascule, guirlandes. Néanmoins, la lumière crépusculaire du jardin donne une tonalité plus sombre à l’ensemble et annonce l’engloutissement d’un temps révolu, celui de l’insouciance et de l’amusement (l’enfant joue au docteur ou à la princesse).

Isabelle Giovacchini propose quant à elle un ensemble de photographies encadrées représentant des paysages montagneux en noir et blanc. Ceux-ci semblent toutefois s’évanouir. Les contours des roches peuvent s’avérer très nets, précis, bien découpés, ou au contraire se flouter par endroits. De grandes trouées blanches scandent la photo, dessinant l’horizon, les cieux ou les rives d’un lac d’altitude, certainement. Le geste de l’artiste consiste en réalité à effacer partiellement ces tirages argentiques. La photo n’est plus véritablement une empreinte du réel. Elle se détache de la valeur indicielle qu’on lui prête habituellement.

Le reste de l’exposition travaille d’ailleurs cette question de l’effacement. En ce sens, la vidéo d’Ilanit Illouz est tout à fait étonnante. Nous nous trouvons face à un écran vide, muet, ou défilent uniquement des sous-titrages retranscrivant une voix aux accents familiers, hésitants, qui relate sa propre histoire, prise dans les soubresauts de la grande Histoire (la guerre d’Algérie et des migrations successives en France et en Israël). En supprimant toute image, Ilanit Illouz affirme prêter une valeur universelle à ce récit. On n’en demeure pas moins surpris, voire sceptique, face à un choix aussi radical. L’universalisme n’est certainement pas la négation et l’effacement d’un individu, d’une figure particulière, ou du timbre unique de sa voix. Il serait plutôt l’affirmation de la singularité de chaque être, et sa manifestation visible dans l’espace public, appelant sa possible reconnaissance par autrui.

Autre geste franchement radical: celui de Jonathan Marin qui dissout dans la Javel une pellicule filmique. Tout motif est ainsi détruit. Ne restent que quelques traces et taches qui se succèdent et convulsent, accompagnées d’une bouillie sonore empruntée au rock hargneux de Nirvana, dont le premier album s’intitulait justement Bleach (soit «eau de Javel»). La démarche de Benjamin Hugard nous a paru plus subtile et féconde. Ici, un négatif photographique révèle une marque de graffiti. Nous avons alors affaire à la trace d’une trace. Mieux, le message tagué, qui a été recouvert et censuré, se lit dans ses contours et laisse même apparaître par effet de transparence le terme de «capital», hérité de la pensée historico-matérialiste marxiste.

Enfin, si la neige est souvent un prétexte pour se remémorer des souvenirs personnels, la MABA utilise métaphoriquement cette notion pour faire émerger une mémoire collective souvent douloureuse. Dans un ensemble de sérigraphies où dominent des tonalités grisâtres plutôt ternes, Thu Van Tran mélange en réalité les couleurs des fûts d’herbicides que les Etats-Unis déversaient sur les populations locales lors de la guerre du Vietnam. Son autre installation, Pénétrable, se réfère à la culture de l’Hévéa au Vietnam lors de la colonisation française. Une couche de latex a été apposée puis arrachée sur les murs de la MABA, révélant ainsi les différentes strates et couches de peinture dont s’est peu à peu recouverte l’institution. Cécile Hartmann photographie quant à elle des troncs d’arbres envahis de feuilles, témoignant du dérèglement de la nature et de l’environnement depuis l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima.

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