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Société Perpendiculaire : rapport d’activité

Historique, témoignages, textes des membres fondateurs, archives photographiques : la Société Perpendiculaire ou le regard paradoxal d’un groupe hétéroclite de jeunes niortais sur la culture et la société, des années 1980 à 2000.

— Auteur(s) : sous la direction de Bernard Ruiz-Picasso et de la Société Perpendiculaire
— Éditeur(s) : Images modernes, Paris
— Année : 2002
— Format : 24 x 16,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Page(s) : 285
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-913355-13-7
— Prix : 33,25 €

Présentation
par Pascal Piet

« J’ai connu les Perpendiculaires niortais l’année de leur bac, vers 1982-1983. J’ai vécu les prémices de la Société Perpendiculaire, mais jamais de façon active, plutôt en tant que sympathisant. Je pressentais, sous des apparences légères, un projet sérieux, à long terme, qui supposait un engagement fort. L’aventure perpendiculaire les mobilisait complètement. Pour ma part, à vingt ans, je n’étais pas disposé à me projeter dans la durée. Entre eux et moi, il y avait beaucoup d’affinités, de respect, mais une différence de tempérament.

Je connaissais surtout Nicolas Bourriaud, qui, dès 16-17 ans, avait un projet de vie assez clair. Il portait déjà en lui ce que deviendrait la Société Perpendiculaire : bien plus qu’un jeu d’adolescents, une aventure intellectuelle et artistique durable. Car la SP est d’abord une histoire de fidélité. Fidélité à un projet et aux amitiés qui se sont formées en même temps que lui, à l’époque du lycée. Tout au long de ces années, la SP n’a pas toujours été active, elle s’est parfois mise en veilleuse. Mais la flamme ne s’est jamais éteinte. Nicolas particulièrement y a veillé.

Pour moi, la Société Perpendiculaire, c’était plus une démarche intellectuelle, une méthode critique qu’un corpus d’idées destiné à se figer. Ils ne se sont jamais fixé un objet unique. Ils ont un spectre d’intervention intellectuelle assez large. Avec un parti pris souvent politique. La virulence de certaines de leurs interventions atteste d’ailleurs de leur volonté d’engagement.

Leur intelligence a été de créer non pas une avant-garde de plus, fondée sur un concept condamné à vieillir, une nouvelle vague qui aurait été balayée par la suivante, mais un outil intellectuel qui permettrait de traverser les époques. L’esprit perpendiculaire est tout sauf dogmatique ou réactionnaire. Leur démarche n’a jamais consisté à rejeter l’héritage, mais à le revisiter en lui appliquant des grilles critiques nouvelles. La SP ne s’est pas enfermée dans l’undergroundisme ambiant, au moment où elle s’est constituée. Elle ne s’est jamais enterrée. Et c’est sans doute aussi pour cela qu’elle existe encore.

Ce qui est également intéressant, c’est que pour ses membres les plus actifs, la Société Perpendiculaire est devenue la matrice d’un projet de vie. Leurs activités professionnelles se sont toujours plus ou moins inscrites dans le prolongement de l’histoire perpendiculaire. Mais surtout, la SP a été le fruit d’une étonnante alchimie humaine et amicale. Au début Nicolas formait avec Christophe Duchatelet un binôme central. Nicolas dans le rôle de l’ingénieur et Christophe dans celui du carburant, qui a apporté l’énergie créatrice dont le groupe avait besoin. Christophe a tout de suite adhéré au projet de Nicolas, il est entré dans le jeu sans réserve. Et la fusée a pu décoller. Laurent Quintreau, c’est le plus perpendiculaire dans l’âme. Il est moins politique, mais plus mystique. Il a une capacité à expérimenter, à s’engager, parfois physiquement, qui est hors norme. Il est capable d’aller très loin, parfois jusqu’au délire. C’est une personne singulière. Avec une grande force intérieure. Quant à Jean-Yves Jouannais et Christophe Kihm, qui ont rejoint le groupe un peu plus tard, et que je connais moins, je pense qu’ils ont joué un rôle structurant essentiel pour la SP.

Deux sensibilités ont toujours coexisté dans le groupe : l’une plutôt intellectuelle et politique, l’autre plus artistique et expérimentale, voire mystique. Je me rappelle qu’avant la SP, nous avions imaginé, le temps d’un été, avec Nicolas, Christophe et Laurent, ce que nous appelions Le perceptionnisme. L’idée, assez borgesienne, était de distordre la réalité, déconstruire le langage. Appréhender un objet en essayant de le vider de son sens. C’est devenu le modèle de la critique perpendiculaire : approcher une œuvre, un artiste en décalant les repères, avec un regard rénové. Le perceptionnisme, aura peut-être été pour la SP une sorte de chrysalide.

Je dirais enfin qu’il y a dans la démarche perpendiculaire deux traits essentiels, qui me semblent en définitive très nietzschéens : d’abord, le goût de l’insolence, une espèce de dandysme intellectuel et de liberté de pensée qui ne se laissent enfermer dans aucun système. Ensuite, une certaine esthétique de vie, la volonté de faire de sa vie une œuvre, de la conduire et de la construire, d’être présent comme acteur et non comme spectateur. »

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Images modernes)