LIVRES

Slim

La jeune femme apparaît encagoulée dans un anorak noir, telle un petit chaperon sorti d’un conte de l’enfance du rock — afterpunk, post-redskin, hard — et exécute, illico presto, tout une série de manèges, dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle donne l’impression de tourner autour du pot. Et pas très rond.

Au centre d’un cercle vicieux et lumineux, la chorégraphe s’est contentée, pour seul décor, de déballer et d’étaler avec soin deux poignées de spaghettis de marque générique qui forment deux rectangles flavescents — la danseuse s’en servira par la suite en les faisant valser comme dans une partie sauvage de mikado puis en les rassemblant, le temps d’un interminable monologue.

Elle mouline des bras et semble lutter contre un adversaire imaginaire. Il est vrai que la capuche, qu’elle gardera durant toute la pièce, peut rappeler celle des boxeurs à l’entraînement. Le fait est que la scène est devenue un ring. Le personnage désenchanté qu’incarne avec intensité et crédibilité Sophie Bocquet marque le coup, en même temps que le rythme de phrases musicales déceptives, brisées net, répétées ad libitum.

La danse prend donc la forme d’une boxe de l’ombre, d’un « shadow boxing », si vous préférez, autrement dit d’un combat avec un partenaire virtuel — mais pas moins redoutable pour autant.

Entre deux enchaînements extrêmement vifs, en totale synchronie avec les chorus d’une B.O. rock, la danseuse reprend son souffle. Ces breaks font d’ailleurs partie de la chorégraphie. Ils sont, comme tout le reste, prémédités et assumés.

Sophie Bocquet ne se contente pas de « styliser » la boxe ou le combat au corps à corps avec une certaine distance ironique, comme le firent en leur temps Régine Chopinot ou Boris Charmatz.

Elle vit pleinement, délibérément, une forme de régression, pratique avec les moyens du bord et sa danse une archéologie comportementale inspirée par les rites d’initiation (bizutage, scarification, endurcissement physique et psychologique, etc.) de la préadolescence — on apprendra par la suite que Slim est le nom de l’ami d’enfance de la protagoniste, son confident, son double.

Elle exécute au passage un tour de passe-passe ou d’adresse, qui prendra une dimension métaphorique inquiétante, qui consiste à rattraper des pièces de monnaie posées sur son coude droit avant leur chute au sol, ce, évidemment avec la main qui est dans le prolongement du même membre… avant de sortir de scène, le sourire aux lèvres.

— Conception et interprétation: Sophie Bocquet