DESIGN | CRITIQUE

Slave City

PMagali Lesauvage
@31 Mai 2008

L’Atelier Van Lieshout de l’artiste et designer néerlandais Joep Van Lieshout expose chez Jousse Entreprise les plans et maquettes de son projet utopique terrifiant de Slave City, une «Cité des esclaves» cannibale vouée au productivisme. Certains objets ainsi créés sont déclinés en pièces de mobilier.

Les cauchemars les plus traumatisants sont ceux dont les détails restent les plus précis, ceux dont on se dit au réveil qu’ils pourraient être vrais. Depuis 2005, l’artiste-designer Joep Van Lieshout, en collaboration avec son atelier, l’Atelier Van Lieshout (AVL), a élaboré avec minutie les plans et maquettes d’infrastructures et de mobilier d’une ville imaginaire, entièrement autarcique et vouée à la productivité — elle dégagerait précisément 7,8 milliards d’euros net de profit par an.

Ses 200 000 habitants (100 000 hommes et 100 000 femmes sélectionnés dans un «Welcoming Center» qui recycle, au sens propre du terme, les candidats déficients) y travaillent quatorze heures par jour: sept heures dans les bureaux d’un «Call Center» (figuré par un plan en coupe) où ils exercent le téléservice, et sept heures à travailler dans les champs ou dans des ateliers. Puis, avant les sept heures de sommeil quotidiennes, le programme de la journée prévoit trois heures de «relaxation» dans deux «bordels», l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes.
Chacun est représenté par une maquette : celui qui accueille les hommes est en forme d’utérus, et rappelle la fameuse Wombhouse (2005) de l’AVL, conçue comme une unité d’habitation ; le «Luxurious Female Brothel» adopte une forme étirée de spermatozoïde, où les hommes se battent avant d’arriver à l’«arène» finale qui les met à disposition des femmes.

Le plan de la ville, visible sur une longue table en fibre de verre (et ainsi «recyclé» par le marché de l’art…), est en forme de phallus : l’organicité de cet écosystème inhumain est essentielle, comme elle l’est dans nombre de projets de l’Atelier Van Lieshout. La ville est autonome, fonctionnant à l’énergie solaire, éolienne… et humaine, les «participants» étant eux aussi recyclés.

Comme la table, les maquettes des différents bâtiments sont mués en mobilier : celle du «Welcoming Center» s’ouvre pour devenir un mini-bar, celles du quartier général et de l’hôpital font aussi office de table basse… Cette déclinaison des objets de la terreur en éléments du quotidien apporte une  dose d’ironie à un projet dont la teneur fascisante fait froid dans le dos. On pense bien sûr au productivisme du régime nazi, aux camps de concentration qui faisaient travailler les prisonniers jusqu’à la mort, au recyclage des restes humains, etc. Pointe également la dénonciation du «tout vert», où seul le biologique, dont l’homme fait partie, est utilisé. La précision du projet est à la fois fascinante et perturbante, à la manière d’un film de science-fiction flirtant de trop près avec la réalité.

Joep Van Lieshout
— Urban plan table, 2007. Bois, fibre de verre, peinture. 420 x 150 x 77 cm.
— Model female brothel on pedestal, 2006. Bois, plâtre, fibre de verre. 180 x 38 x 97 cm.
— Hospital on coffee table, 2007. Bois, fibre de verre, peinture. 150 x 60 x 60 cm.
— Sisters, 2008. Mousse et fibre de verre.
— Wall Decoration, 2008. Mousse.
— Luxury male brothel, 2008. Mousse, fibre de verre, peinture. 85 x 68 x 15 cm.
— Headquarters coffee table, 2007. Mousse, fibre de verre, acier. 200 x 98 x 70 cm.
— Welcoming centre (mini bar), 2007. Bois, fibre de verre, plâtre. 115 x 37 x 49 cm.
— Junior slave manager house, 2007. Encre sur toile. 79 x 146 cm.
— Toilet unit, 2007. Encre sur toile. 155 x 95 cm.
— Guards, 2007. Encre sur toile. 83 x 97 cm.
— Brothel 3 stars males, 2005. Encre sur toile. 210 x 166 cm.
— Call center, 2006. Encre sur toile. 258 x 116 cm.
— Shower unit, 2006. Encre sur toile. 95 x 125 cm.
— HQ, 2008. Encre sur toile. 133 x 196 cm.

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