ART | EXPO

Sioule et cætera

07 Fév - 23 Mar 2013
Vernissage le 07 Fév 2013

Philippe Durand examine les réalités socio-économiques contemporaines en articulant image et objet. Il pratique un régime de vision flottante, à la recherche d’indices faibles, de signes fragiles et d’écritures anonymes qui disent pourtant les effets sur l’individu et l’environnement des conditions de vie imposées par l’hypermodernité.

Philippe Durand
Sioule et cætera

La Sioule est une rivière d’Auvergne, qui s’écoule sur 90km dans le Puy de Dôme puis dans l’Allier sur 60km, traversant St-Bonnet-près-Orcival, Miremont, Pontgibaud, Châteauneuf-les-Bains, Ebreuil. Elle se jette dans l’Allier peu après St-Pourçain-sur-Sioule, après avoir donné quelques affluents: le Sioulot, le Sioulet, le Chalamont, la Bouble, la Saunade, ou la Miouse. Les gorges et la vallée de la Sioule sont prisées des amateurs de canoë-kayak, qui choisiront la grande journée entre Châteauneuf et St-Gal-sur-Sioule (25km de descente) ou la demi-journée détente entre Menat et St-Gal (11km). Le rapide de la Gordonne (classe II) marque l’entrée des gorges de Chouvigny, et pour clôturer l’après-midi, la cascade de Saint-Gal procure arrosage et émotions garantis.

Philippe Durand est surtout connu pour ses portraits de ville (Bruxelles, Paris, Los Angeles, plus récemment La Havane, Bamako, Belgrade) mais n’a jamais pour autant délaissé les espaces ruraux et péri-urbains où les «aménagements du territoire» en «zones», séquençant et segmentant géographiquement les activités humaines — travail et loisirs, production et consommation — , sont souvent plus tangibles qu’au sein des métropoles où se sédimentent de manière plus dense les signes hétéroclites de la vie moderne. «Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi», écrivait Baudelaire du «peintre de la vie moderne», ce flâneur que continue à incarner Philippe Durand, en photographe du «plaisir fugitif de la circonstance», glaneur de l’obsolescence accélérée des signes qui nous environnent, capteur des moments ténus de dysfonctionnement du flux quotidien. La vitrine de magasin, espace de représentation et surface de réflexion, reste son sujet de prédilection, idéal pour observer le monde à l’envers, à l’instar des flaques où le paysage se lit sens dessus dessous.

L’exposition «Sioule et cætera», à rebours de nombre de ses précédentes expositions ancrées autour d’un site, articule différents espaces, de l’Auvergne à Dubai. Sans aucun exotisme, car de l’Émirat, il conserve la photographie de la toile cirée d’une table dans un snack ouvrier soudanais, sur laquelle est reproduit l’horizon découpé des gratte-ciels désormais aplatis, tandis qu’un fragment de PLV en forme d’esquimau glacé géant masque la forêt auvergnate. Lorsque Pjilippe Durand capture avec son téléphone une livraison de pneus devenant un jeu improvisé, ou pose sa caméra devant un embouteillage de canoës-kayaks sur la Sioule, s’amusant de la sur-organisation des loisirs de masse, c’est au film Weekend de Godard que l’on pense, et à son long travelling sur les bouchons de départ en vacances pendant lequel des enfants se lancent un ballon de voiture en voiture.

Arpenteur autant ironique que contemplatif, Philippe Durand cultive de l’esprit d’enfance une aptitude à saisir l’environnement comme espace de jeu, et un enthousiasme sarcastique face aux disproportions et au grotesque de ce qui s’érige en importance (mots d’ordre, architectures, superstructures), qu’il dégonfle immanquablement par sa saisie des envers du décor.

François Piron
Critique d’art, commissaire indépendant et enseignant.

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