ART | CRITIQUE

Show off vidéo 08

PAlexandrine Dhainaut
@19 Fév 2009

L’art vidéo a le vent en poupe. Après «Dans la nuit, des images» au Grand Palais, «Show off video 08» aux Filles du Calvaire présente un condensé de la création contemporaine récente, en collaboration avec Le Cube et Le Fresnoy.

La galerie Les Filles du Calvaire expose trois programmations de choix – la sienne, celles du Cube et du Fresnoy -, réunissant la fine fleur de la vidéo contemporaine. Animations, fictions, vidéos expérimentales ou pastiches, constituent un ensemble hétéroclite, témoignant de la diversité des expressions qu’offre le médium.

A cette occasion, l’espace de la galerie est scindé en deux : au rez-de-chaussée sont projetées les vidéos retenues par Le Fresnoy et Le Cube tandis que l’étage est dédié aux choix de la galerie (déterminés par un vote du public composé de professionnels et de collectionneurs lors du Salon Show Off 08).
Issu de l’édition #2 de «Talents Special Issue», dont le thème était Archi & Design, le programme vidéo du Cube prend pour toile de fond l’architecture urbaine. Une architecture qui, quand elle ne se vide pas de tout être humain (d’étranges cubes noirs flottent menaçants dans des architectures froides et désertes dans Cubes de Stefan Ringelschwandtner), les laisse sans repère dans un environnement confondant le haut et le bas (Above de Lkcc modélise une ville dont les immeubles et les habitants sont à l’envers), le dedans et le dehors (dans une folle mise en abîme, Delivery de Till Nowak met en scène un vieil homme qui reçoit une boîte contenant le monde dans lequel il vit).

Empruntant parfois l’esthétique léchée et l’entreprise séductrice de la publicité, les vidéos retenues par Le Cube expriment à leur manière l’utopie d’une ville qui serait plus imaginative, plus verte, plus culturelle (la vidéo de Squint Opera intitulée Pictures of a City démontre les possibilités de changement qu’offrirait l’architecture moderne) ; plus débridée et plus ludique: au fil d’un trajet de métro, les murs de briques des bâtiments de Moving Still de Santiago Caicedo de Roux se délitent pour former un réseau de courbes folles ; plus poétique (Semiconductor crée des micro-phénomènes météorologiques dans Paris, tels que des nuages embrassant les toits d’immeubles, ou un magma de particules de lumière s’agitant entre deux tours), et moins monotone (empruntant les clairs-obscurs de l’expressionnisme allemand, Wolfram Gruss imagine dans son film d’animation The Janitor, un employé dont l’unique activité consiste à activer le lever et le coucher du soleil). Tous invoquent une ville qui ne serait plus une métropole mais une «extrapole».

Le Fresnoy en la personne de Madeleine Van Doren a manifestement joué la carte de la variété des propos et des langages. Images et scènes surréalistes habitent la vidéo Coagulate de Mihai Grecu (une fumée se dissipe d’on ne sait où, un homme reste en apnée dans une mer renversée, tandis qu’une anguille suffoque hors de l’eau) et celle de Clorinde Durand intitulée Naufrage qui, comme son nom l’indique, met en scène le naufrage improbable d’employés et de meubles dans la moquette d’un bureau, le tout projeté au ralenti. Tout aussi surréaliste, l’univers en 3D qu’imagine Bertrand Dezoteux dans Le Corso, peuplé de chamois et de morceaux de pizzas qui marchent, apparaît comme un véritable ovni dans la programmation.

Dans deux styles diamétralement opposés – l’un rapprochant sa caméra au plus près du corps et l’autre s’en abstrayant visuellement, ne laissant que les voix off -, Amel El Kamel et Enrique Ramirez remontent le fil de l’histoire : l’histoire intime d’Amel El Kamel à travers une couverture, retissant les liens avec une culture maghrébine ; et histoire collective du Chili pendant les années Pinochet : Ramirez filme le trajet d’un homme jusqu’au Palais de la Moneda où Salvador Allende s’est donné la mort.

L’étage réserve des considérations moins «graves» et privilégie l’humour, la dérision et l’absurde. Les situations imaginées sont pour le moins décalées : Laurina Paperina imagine le pape Ratzinger sous les traits d’un Goldorak, éliminant de la Terre toutes les «déviances» humaines, dans des scènes trash et hilarantes ; Jérémy Laffon filme en plongée une ligne d’agrumes coincée dans la descente d’un escalator et exposée aux enjambées et aux semelles des usagers du métro. Laffon parvient ici, d’après une observation commune et dérisoire – le surplace des objets tombés sur un tapis d’escalator -, à faire basculer «l’élémentaire» du côté de la poésie.

Tel Jonas englouti par la baleine, les personnages du sanguinolent Sog de Patrick Jolley et les décors qu’ils habitent sont comme régurgités, mal digérés. Des murs suinte une étrange purée pourpre, des abats tombent de la cheminée, du sang recouvre les hommes et les femmes qui, et c’est tout le décalage du film, agissent comme si de rien n’était.

Enfin, les chimères d’Hollywood planent au dessus des vidéos de Jana Eske et de Justine Cooper. Dans Concrete, Jana Eske mêle violence et auto dérision en marquant le bitume d’une étoile sculptée à coups de burin, tout en sifflant I wanna be love by you de Marilyn Monroe. Quant à la vidéo de Justine Cooper When more is not enough, elle vante les mérites d’une pilule miracle – Havidol – à travers un pastiche grinçant du langage publicitaire.

Alternant les images de synthèse, la vidéo et le cinéma, «Show off video 08» regroupe des œuvres à la fois inventives, poétiques et critiques. Un vrai petit condensé de la création contemporaine actuelle.

— Lkcc, Above, 2007. 4’35’’
— Till Nowak, Delivery, 2005. 8’42’’
— Squint Opera, Picture of a city, 2003. 4’32’’
— Stefan Ringelschwandtner, Cubes, 2002. 3’10’’
— Santiago Caicedo de Roux, Moving Still, 2007. 2’20’’
— Wolfram Gruss, The Janitor, 2007. 10’42’’
— Manuel Zenner, L’homme urbain, 2007. 3’20’’
— Florian Pittet, Creative Space, 2007. 1’
— Michael Roulier, Sub Memory Check, 2008, 6’08’’
— Seminconductor, The Sound of Microclimates, 2004, 8’20’’
— Romain Kronenberg, Nimrod, 2004, 11’04’’
— Mihai Grecu, Coagulate, 2008. 6’
— Clorinde Durand, Naufrage, 2008. 7’
— Enrique Ramirez, Brises, 2008. 13’
— Amel El Kamel, Abena, 2008. 6’
— Bertrand Dezoteux, Le Corso, 2008. 14’
— Laurina Paperina, BrainDead, 2008. 3’55’’. Galerie Magda Danysz
— Stéphane Pichard, Comme de jour, 2006. 2’22’’. Galerie Martine et Thibault de la Châtre
— Jérémy Laffon, Symphonie 1, 2005. 3’40’’. Galerie Isabelle Gounod
— Edith Dekyndt, Provisary Object 02, 2000. 2’22’’. Galerie Les Filles du calvaire
— Justine Cooper, When More Is Not Enough, 2007. 2’35’’. Daneyal Mahmood Gallery
— Jana Eske, Concrete, 2006. 1’30’’. Analix Forever
— Patrick Jolley, Sog, 2007. 9’30’’. Olivier Houg Galerie

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