ART | CRITIQUE

Shirley Jaffe

PCéline Piettre
@29 Mar 2004

Á la lisière du signe, entre figuration et abstraction, les huiles colorées de Shirley Jaffe rendent compte du monde par une synthétisation des formes. Si elle rompt avec l’expressionnisme de ses débuts, l’artiste continue de brouiller les pistes et les codes de la représentation.

Shirley Jaffe appartient déjà à l’histoire de l’art. Elle fut l’une des figures majeures de la seconde génération de l’expressionnisme abstrait représenté par les artistes américains et canadiens actifs à Paris à la fin des années soixante : Joan Mitchell, Jean-Paul Riopelle, James Bishop ou Sam Francis. Comme eux, Shirley Jaffe a quitté l’Amérique du nord pour la France, où elle redéfinit progressivement son approche picturale, abandonnant le lyrisme gestuel pour une abstraction géométrique rythmée et colorée, qui caractérise encore aujourd’hui son oeuvre.

Dans ses toiles, le figuré ne subsiste qu’à l’état de vestige, de résidu de réel. Toute tentative d’identification se heurte à la neutralité des formes, à l’hermétisme synthétique des lignes, traits, bandes verticales, horizontales et diagonales, juxtaposés ou superposés dans un «chaos ordonné», pour reprendre les mots de l’artiste.

Jussieu donne l’illusion d’une frise de palmettes et d’oves antiques; The Sign fait songer à un paysage printanier dont on aperçoit l’iconique feuillage; Intrusive Black semble succomber à la tentation de la calligraphie.
Mais, en aucune mesure, ces idéogrammes et alphabets improbables, ces semblants de motifs végétaux n’ont valeur de signes, en tant qu’ils ne renvoient précisément à aucune réalité objectivable. Chez l’artiste, la figuration reste allusive, et prend appui sur les procédés énonciatifs pour exister, comme pour Traffic et The Oblong Square, où seul le titre rend compte de l’inspiration urbaine.

Partout, la couleur domine. Elle structure la composition, génère les formes. Elle devient explicitement le sujet du tableau dans Intrusive Black ou Blue and Gray. Á côté des rouges, bleus, jaunes de l’abstraction géométrique, l’artiste s’offre les coquetteries d’un parme ou d’un rose, le dynamisme d’un oranger, la fraîcheur d’un vert pomme. Sa palette s’éclaircit, s’adonne aux nuances, ose les contrastes du noir et blanc, nous propose une expérience sensible. Ce qui confère à l’œuvre une pointe de sentimentalisme, un lyrisme coloré qui, assorti à la musicalité de certains agencements de lignes et de signes, n’est pas sans rappeler l’œuvre de Kandinsky; et même la tendance décorative d’un Matisse, d’autant que souvent, les huiles et les gouaches laissent croire à des collages, à des papiers découpés.

Pourtant, à la différence de Wassily Kandinsky, Shirley Jaffe n’aspire à l’expression d’aucune «nécessité intérieure». Elle questionne la réalité et ses représentations dans une perspective contemporaine, par l’intermédiaire d’une abstraction teintée de figuration. Et si elle devait appartenir à une famille théorique héritée du modernisme, elle serait plus proche du cubisme, en cela qu’elle donne, à la manière de Cézanne en une redéfinition de notre monde urbain «par le cylindre, la sphère et le cône».

Shirley Jaffe
The Oblong Square, 2007. Huile sur toile. 80 x 80 cm
X, encore, 2007. Huile sur toile. 210 x 160 cm
The Slanted Blue, 2007. Huile sur toile. 73 x 60 cm
Networking, 2007 (pink). Huile sur toile. 73 x 60 cm
Intruisive Black, 2008. Huile sur toile. 210 x 160 cm

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