DANSE

Shichimi togarashi

PCéline Piettre
@19 Nov 2010

«Elle a une bouteille plantée dans le talon». La première phrase de Shichimi Togarashi donne le ton de cette pièce déjantée, qui va nous transporter d’un plateau presque nu à des paysages fantasmés, entre décor romantico-pastoral et strip-teases imaginaires. L' une des bonnes surprises du festival, assurément.

Le théâtre du duo épicé Dominguez/Fernandez ne ressemble à aucun autre – si ce n’est celui que chacun se construit dans sa tête, depuis l’enfance, pour faire vivre ses fantasmes. Avec les deux chorégraphes espagnols, la scène se transforme en terrain de jeu. On y invente des histoires qui vivent le temps d’un claquement de doigts, des situations burlesques (une chute causée par un arbre invisible!) ou délirantes (un strip-tease qui s’achève en orgie sadomasochiste de jambon Serrano, Espagne oblige !). On y projette ses désirs. Quelques chaises, une table et une bouteille d’eau suffisent à élaborer des scénarios, aussi versatiles et foisonnants que l’imagination de leurs deux auteurs-interprètes. Ici, l’écriture est vivante. Impertinente. Et le théâtre, débarrassé des protocoles et autres codes de genre, se réduit à son plus simple appareil: la force brute de l’imaginaire.

Dans Shichimi Togarashi, la dramaturgie s’écrit en temps réel et cette construction, devenue visible, fait office de dramaturgie même. A partir de là, Juan Dominguez et Amalia Fernandez procèdent sur le mode du brouillage. Ils parasitent le texte comme l’image (qui se répondent en différé), brisent la hiérarchie entre cause et conséquences, privent une situation de son contexte naturel. Ce qui est raconté n’est pas forcément ce qui est joué, selon un art du décalage provoquant à coup sûr le rire. Quant à la narration, si chère au théâtre, elle est rompue par des va-et-vient continus entre le passé et le présent, des sauts dans le temps qui nous téléportent en une seconde d’un décor pompeusement renaissant, peuplé de bergers et de ruines, à un intérieur du XXIe siècle, où un couple regarde la télé. On rembobine puis on recommence… comme s’il s’agissait d’un montage.

En résulte une œuvre libérée, sans contours ni objectifs, où l’éclatement du temps, de l’espace, des possibles narratifs devient une source à jamais inépuisable de jouissance. La présence sur scène − le fameux live −, l’illusion du vrai sont balayés par un vent d’anarchie joyeuse. Shichimi Togarashi est une mise en abyme du spectacle, une réflexion en acte sur les formes de la représentation, mais qui semble dépourvu de ce nihilisme que l’on retrouve parfois chez les artistes conceptuels. La pièce apparaît comme une tentative de libérer l’énergie créative, sans peur des hystéries qu’elle pourrait générer. Un théâtre subversif qui fait rire, parfois aux larmes! Ce qui est aussi rare que terriblement bienvenu…

— Durée: 90 minutes
— De et avec: Juan Dominguez et Amalia Fernandez
— Graphisme: Andres Martinez

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