PHOTO

Seydou Boro

Seydou Boro voyage entre le Burkina Faso et la France, en compagnie de son complice de toujours Sania Sanou. Dans Poussières de sang, leur création commune jouée en juin à Paris, les deux chorégraphes traitent de la violence dans un dialogue intense entre la musique, le chant et la danse. Une expérience relatée par Seydou Boro en personne. L’occasion de découvrir ses projets personnels.

Smaranda Olcèse-Trifan. J’aimerais que vous nous parliez de Poussières de sang, de la genèse du spectacle. Il s’agit d’une création 2008 pour le festival Montpellier Danse.
Seydou Boro. Le projet est lié à l’inauguration du Centre de développement chorégraphique, La Termitière, un espace que nous avons créé au Burkina Faso. Il y a eu un conflit entre les policiers et les militaires. Cet incident nous a choqué, mais au lieu de nous laisser emporter par l’amertume, nous avons commencé à travailler sur la thématique de la violence. Poussières de sang est né de ce moment là, en 2006.

Vos danseurs sont-ils des collaborateurs de longue date ?

Seydou Boro. La plupart des danseurs sont des artistes avec lesquels nous travaillons depuis un bout de temps. Mais nous avons également fait des rencontres, tous ne viennent pas du Burkina Faso : Pierre Vaiana, le saxophoniste, est originaire de Belgique, Asha Thomas est une danseuse qui a vécu aux Etats Unis. Elle a beaucoup travaillé avec Alvin Ailey. L’enjeu était de ne pas restreindre la thématique de la violence au seul continent africain, c’est un sujet à portée universelle.

Chacun des danseurs vient donc avec sa conception de la violence, avec son vécu ?

Seydou Boro. Exactement ! C’est une histoire autour de la violence, mais en même temps, Salia et moi travaillons beaucoup par improvisation. Nous avons dégagé un peu les thématiques, les postures — les chutes, l’effondrement des corps : se jeter contre le mur ou se laisser choir sur le sol — et les danseurs ont proposé, au fur et à mesure, leur vécu par rapport à ça. A partir du moment où nous arrêtons la thématique du projet, Salia et moi écrivons beaucoup. Nous arrivons sur le plateau avec de la matière, des sentiments à partir desquels nous commençons à improviser. Chacun regarde et dit ce qu’il a envie de travailler, quelques heures avant que les danseurs arrivent. La pièce prend forme à partir de la rencontre entre cette matière première et les improvisations.

Comment voyez-vous le rapport entre les duos et les mouvements d’ensemble ? Dans Poussières de sang, il y a les duos magnifiques, à la force contenue, et puis il y a les mouvements d’ensemble où cette force va éclater, avec violence.

Seydou Boro. La pièce est vraiment construite comme une réflexion qui se concrétise, mentalement d’abord, puis parvient à maturité et débouche sur le passage à l’acte. La violence naît d’une pensée lointaine avant de prendre forme, ce qui fait qu’il y a des moments de fluidité ou de latence, et des séquences plus dynamiques. C’est lié aussi au caractère concret de notre perception de la violence, qui caractérise la forme de la danse et les propositions des différents éléments qui naissent à l’intérieur.

Le rôle de la musique est très important dans vos créations ?
Seydou Boro. Dans toutes les pièces, depuis le début, nous travaillons avec des musiciens en live ; cela nourrit autant l’imaginaire, que le mouvement. Les musiciens ne viennent pas avec des musiques déjà composées, ils créent une musique spécifique à la pièce, donc c’est vraiment un travail qui se partage sur le plateau. Autant le son d’un musicien peut me révéler une gestuelle, autant un mouvement peut lui révéler une sonorité. Donc c’est un travail de va et vient. Les créations commencent avec tout le monde sur la scène, ensemble. Les corps des musiciens, autant que ceux des danseurs, contribuent au prolongement du mouvement et de la danse. C’est la musique qui fait corps avec nous. Ce qui nous intéresse, c’est comment tout cela se tisse ensemble.

La griotte qui chante
dans Poussières de sang semble être une sorte de fil conducteur ?
Seydou Boro. Oui, c’est vrai que Diata, la femme qui chante, tisse la pièce. C’est comme si c’était elle qui conduisait, comme s’il elle était un coryphée à elle toute seule. La voix est très importante parce qu’elle ouvre des fissures dans la pièce. Il était vraiment nécessaire que ce soit elle qui porte ce mouvement… Elle a composé le chant, dans l’improvisation. Ensuite, nous avons commencé à structurer.

Qu’est-ce que vous répondez aux gens qui regardent encore vos pièces en cherchant à déceler ce qui est du domaine de la danse traditionnelle ?
Seydou Boro. C’est toujours la même histoire, c’est comme si un artiste africain ne pouvait ou ne devait pas faire autre chose que ce qu’il fait depuis des siècles, donc je n’ai même pas envie de répondre ! Je suis un artiste contemporain. Vous voulez que je fasse ce que vous attendez de moi, non, je fais ce que j’ai envie de faire !

Comment le duo Salia et Seydou fonctionne-t-il ? Il s’agit d’une longue histoire ?
Seydou Boro. Oui, oui, c’est une très longue histoire. Nous avons des tempéraments différents et nous nous complétons dans l’écriture, dans le travail artistique. Depuis une vingtaine d’années, nous sommes toujours ensemble, ce n’est pas simple, parfois il y a des conflits, mais nous avons appris à les surmonter pour avancer. 

Parlez nous de ce double enracinement entre le Burkina Faso et la France, la Termitière et le Centre chorégraphique de Mathilde Monnier où vous avez passé 8 ans en tant que danseurs, le Centre national de la danse et la Scène nationale de Saint-Brieuc où vous êtes artistes associés.
Seydou Boro. Ce qui est intéressant pour nous, c’est de déplacer les frontières par la création. Le fait de pouvoir travailler dans une mobilité, que ce soit en Bretagne, à Paris ou au Burkina Faso, est très important. Je pense que c’est de la matière qui nourrit nos créations, c’est de la matière qui circule. On déplace énormément les frontières du regard du public d’ici, autant qu’on les déplace pour nous.

Vous êtes en résidence longue au Centre national de la danse à Pantin entre 2008 et 2011…
Seydou Boro. Cette résidence à Pantin nous permet de nous poser un instant sur Paris. Cela donne à la compagnie l’occasion de créer, de former des artistes sur place et de mener des actions pédagogiques, comme dans le 93 où nous animons des ateliers de sensibilisation autour de la danse. Nous bénéficions également d’aide à la diffusion des œuvres de notre répertoire. En même temps le CND soutient les créations de la compagnie. Pour la saison 2009-2010, il y a deux nouvelles pièces qui sont en construction, la création de Salia Sanou, Dambë et mon Concert d’un homme décousu.

Et la vidéo ? Seydou Boro, vous êtes aussi vidéaste ?
Seydou Boro. A l’origine, j’ai une formation d’acteur. J’ai longtemps travaillé dans le théâtre et dans le cinéma. Pour moi ce sont des matières très complémentaires qui se nourrissent les unes les autres. Les choses ne sont pas cloisonnées. Il y a une entité commune qui regroupe la danse, le cinéma, le théâtre, la musique — je chante et je joue. Tout dépend de ce qui j’ai envie d’interpeller. A un moment donné, je peux utiliser l’image, à un autre, je peux utiliser le son, la musique, ou la danse. Mais c’est vrai que l’image interpelle et voyage très vite par la vidéo. Quand je fais des films, je peux amener la danse dans les différentes provinces, donc cela m’aide dans la sensibilisation des publics autour de la danse.

En novembre dernier, au CND, pendant la manifestation Sonorités et Corps d’Afrique, votre film Le cheval a été projeté, avec toute une recherche rythmique autour du mouvement.
Seydou Boro. Effectivement. Dans les prochaines années je vais créer une pièce, Le Tango du cheval, à partir de ces images vidéos. Voila un cas concret. J’ai réalisé le film il y a 8 ans, et cette histoire avec le cheval m’a incité à créer une pièce pour 8 danseurs autour de cette gestuelle. De l’image va passer sur la scène.

Et la musique ? Vous jouez de la guitare ?
Seydou Boro. Oui, c’est un instrument très intime, et j’aime bien cette proximité. C’est le blues qui me séduit le plus. Mon âme résonne musicalement à ses sonorités.

Toujours à l’occasion des Sonorités et Corps d’Afrique, il y a eu une présentation des éléments de travail de votre prochaine pièce : Concert d’un homme décousu.
Seydou Boro. Concert d’un homme décousu est un projet dans lequel j’ai envie de me confronter à l’ambiguïté de l’être. On ne peut pas connaître totalement une personne, elle est tout le temps en train de bouger, même pour elle même. Nos certitudes, elles aussi, sont constamment en train de se déplacer. Je suis parti de cette idée que quelqu’un est en train de changer, qu’il bouge de l’intérieur. Je travaille également en référence à un musicien nigérian très engagé, Fela Kuti, qui est décédé maintenant. Il avait une gestuelle hystérique quand il chantait pendant les concerts. Je puise un peu dans sa gestuelle que je travaille ensuite en improvisation.

Pour cette représentation, il y avait de nombreux musiciens sur scène et la charge émotionnelle de la pièce passait beaucoup par la musique et par la manière dont chacun jouait de son instrument.
Seydou Boro. Oui, ça rejoint ce que je disais au début, les musiciens pour moi ce ne sont pas seulement des gens qui viennent faire de la musique pour la danse, ils font partie intégrante de la pièce autant que les danseurs. En même temps, la pièce s’appelle Concert d’un homme décousu et je voulais jouer sur cette ambiguïté-là : c’est un concert ou pas ? C’est comme un concert bâtard, qui finit tout de même par être un concert. Dans les morceaux que j’ai montrés au CND l’an dernier, il n’y avait pas la fin, mais la pièce se termine par un vrai concert. Cette ambiguïté me plaît, c’est décousu, il faut coudre.

Ce qui est très intéressant dans votre travail, c’est qu’il n’y a pas une revendication politique ouvertement affichée, mais des questionnements qui se jouent à un niveau plus profond…
Seydou Boro. Je pense qu’à un moment donné, l’acte politique se vit quelque part. Je ne crois pas qu’un artiste puisse concevoir qu’il n’y ait pas d’acte politique dans son travail. Il y a des pièces dans lesquelles le sens politique est très explicite et des pièces qui se construisent différemment, où nous avons envie de parler d’autre chose. Cela dépend du projet. Il y a quelque temps, j’ai écrit une chorégraphie qui s’appelle C’est-à-dire. C’est une pièce très politique qui parle de la non-gouvernance et de la relation Nord / Sud.

Et les projets à venir ? Quand vous réfléchissez à un projet personnel, est ce que vous arrivez à être toujours disponible pour le travail avec la compagnie ?
Seydou Boro. Parfois les deux se superposent, mais avec Salia, chacun prend aussi du temps pour soi. Nous avons fini Poussières de sang en 2008, en 2009 nous sommes partis chacun sur un projet personnel. Je pense que c’est le voyage entre ces différents projets qui nous permet de nous maintenir, de travailler ensemble et d’avoir un espace personnel.
v

AUTRES EVENEMENTS PHOTO