ART | CRITIQUE

Sevgili Istanbul

PSophie Collombat
@12 Jan 2008

A l’invitation de Jean Brolly, deux artistes originaires d’Istanbul rendent un poignant hommage à leur ville: des clichés du photographe Ara Güler témoignent de la rudesse de la vie quotidienne, et une installation de Sarkis fournit une glorieuse dimension historique.

Ara Güler photographie sur le vif des scènes de la vie à Istanbul dans les années 50-60. Sa manière se situe entre les vues de la classe ouvrière de Dorothea Lange et l’humanisme de Robert Doisneau. Par exemple, ces deux hommes attablés dans un bistrot, ou cette femme qui tend un mouchoir vers une tête dépassant d’un hublot de paquebot.
Tous les clichés rendent compte de la vie quotidienne à Istanbul avec ses gros bateaux qui sillonnent le Bosphore, ses pêcheurs, travailleurs, femmes voilées, et ses mosquées en arrière-plan.
On découvre également des aspects moins pittoresques de la ville : la neige, le froid, la pauvreté, les moyens de transport vétustes. A Byzance et Constantinople succède ici la réalité économique, sociale, culturelle de l’Istanbul moderne.
Pour Ara Güler, «la photographie n’est rien d’autre que la réalité» dont elle ne veut transmettre que la vérité brute.

Comme un écho à l’activité maritime d’Istanbul, Jean Brolly présente conjointement à ces photographies, la quatrième version de la pièce de Sarkis intitulée Le Bateau Kriegschatz.
Exposée pour la première fois en 1982, elle se compose d’un grand panneau de bois muni d’une guirlande d’ampoules sur lesquelles sont inscrites en rouge les lettres du mot «trésors».
Sur le côté gauche du panneau, est également suspendue la maquette d’un bateau de guerre — «Kriegschatz» signifie, en fait, «Les trésors de guerre» — qui ajoute à cette exposition une dimension historique supplémentaire.

Sarkis développe ce projet de «trésors de guerre» comme une sorte de récit mythique et autobiographique. Il collecte des objets disparates au cours de ces déplacements, évoquant son exil en France en 1964 et sa patrie. Sorte de métaphore de la mémoire individuelle et collective, l’installation fait écho à la ville même d’Istanbul et à son histoire.
Les «trésors de guerre» sont en effet nombreux dans cette ville aux multiples facettes où de somptueuses pièces importées du monde entier sont conservées au palais Topkapi. Istanbul est un véritable chaudron où se mêle richesse et pauvreté, tradition et modernité, comme nous le montre les photographies de Güler.

Jean Brolly a choisi deux artistes nés à Istanbul pour cette exposition-hommage très personnelle à la ville turque qu’il connaît bien.
La mémoire et l’histoire sont invoquées au moyen de deux formes d’art bien différentes — la photographie et l’installation, c’est-à-dire l’immédiateté et le réalisme contre l’interprétation et la reformulation.

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