PHOTO | CRITIQUE

Refiguration. Self-hybridations, série indienne-américaine

PEmmanuel Posnic
@29 Avr 2008

Le visage est culturel. Son apparence l’indexe à une civilisation et à un contexte idéologique. Pas de hasard donc dans l’acceptation de la beauté. Pas étonnant non plus que les métissages fassent écho aux hybridations provoquées par la machine numérique. Le XXIe siècle prolonge l’histoire du visage et quelque part, Orlan pourrait être le dépositaire de sa traversée artistique.

Dès la fin des années 60, son travail s’est concentré sur le corps et ses potentialités de transformation. Un art «charnel» comme elle le définissait, un art de la performance, de l’aliénation physique, dans lequel sa personne était mise à contribution.

De réceptacle à ses propres expériences, Orlan est passée dans les années 90 a un autre type de projet. L’image photographique, qui a toujours fait partie de sa «dramaturgie» et de ses mises en scène, est apparue dès lors comme l’une des clés de lecture de son oeuvre, comme un filtre supplémentaire au contenu et non plus comme un support documentaire du process. Car plutôt que d’affranchir une nouvelle fois les limites de son corps, c’est bien désormais sur l’image, dans tous les sens du terme, qu’elle intervient. C’est-à-dire autant sur l’«icône Orlan» que sur la matière photographique.
Ce qui ne rend pas l’œuvre moins stupéfiante. Au contraire, le champ de ses possibles s’en trouve élargi.

Dans la série des Self-hybridations, Orlan puise dans le réservoir des référents culturels des quatre coins du monde. Les attributs des corps et des visages sont associés, sont mixés même pour être plus juste, à ceux de l’artiste. En 2005, elle montrait chez Michel Rein une première série croisant les figures pré-colombiennes et caucasiennes.
Cette fois-ci, elle tente les rapprochements avec les bustes amérindiens. Son visage à peine reconnaissable se glisse dans les portraits peints de George Catlin: attitudes hiératiques, corps drapés de motifs et de tissus, fonds rouges uniformes, la galerie de personnages illustre la fierté des origines, l’Indien dans sa posture d’insoumission.
Le visage plaqué sur ce décor, Orlan s’infiltre dans le mythe pour mieux en capter la sève spirituelle. Le rituel, très présent dans son travail depuis le début, est ici revisité à la lumière de l’histoire. De l’histoire américaine précisément, celle sur laquelle on a très vite jeté un voile pudique : la violence des Pionniers puis celle d’une nation à l’égard des tribus indiennes, les exterminations successives et, aujourd’hui, la quête et la conquête d’une identité en déshérence. Les connexions qu’elle établit avec le récit historique ne sont d’ailleurs jamais éloignées de ses préoccupations politiques féministes et humanistes.

Orlan n’échappe pas non plus à une autre forme de rituel, celui du portrait peint. Elle le détourne ici et de manière assez judicieuse. C’est dans le respect des règles du genre (portrait en buste de trois-quarts, posture institutionnelle héritée de la Renaissance) qu’elle instille les potentialités du numérique : ses yeux, son nez, sa bouche apparaissent comme un miracle au milieu des figures amérindiennes.
Mais surtout, en reprenant par la photographie les peintures de Catlin, elle applique une double mise en abîme : sa photographie «regarde» la peinture américaine qui elle-même «regarde» l’histoire universelle de l’art.

Depuis Orlan, plusieurs siècles nous contemplent. Les Self-hybridations sont une lecture en raccourci des visages de l’Histoire et un mémento des métissages improbables, en embuscade des bouleversements éthiques qui s’annoncent. C’est aussi la marque d’une époque qui, au faîte de sa maîtrise des mutations bio-technologiques, se cherche des repères séculaires.

Orlan
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°1. Portrait peint de No-No-Mun-Ya, Celui qui ne prête pas attention, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°7. Portrait peint de Tis-Se-Woo-Na-Tis, celle qui lave ses genoux, Epouse du chef, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°9. Portrait peint de Wa-Hon-Ga-Shee, Pas bête, un grand coquet, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°8. Portrait peint de Ud-Je-Jock, Pelican,Un garçon, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°10. Portrait peint de Wée-Ke-Ru-Law, He Who Exchanges avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°12. Portrait peint de Chee-me-nah-na-quet, Grand nuage, fils de l’ours Grizzly, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm
— Refiguration Self-hybridation, série indienne-américaine n°17. Portrait peint de Pa-ris-ka-roo-pa, deux corbeaux, un chef de bande, avec un portrait photographique d’Orlan, 2005. 124.4 x 152.4 cm

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