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Sébastien Reuzé : constellations

Objets photographiques, de la miniature au monumental, sur supports inédits (drapeau, set de table, etc.), dont les sujets, décalés, s’infiltrent dans un environnement banal. Une démarche qui prend en compte le statut marchand de la photo et suppose que chaque image possède un contenu intrinsèque au-delà de cette apparence.

— Éditeur : La lettre volée, Bruxelles / Contretype, Bruxelles
— Année : 2002
— Format : 16,50 x 24,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : non paginé
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-87317-194-4
— Prix : non précisé

Présentation
par Larys Frogier (extrait)

Sébastien Reuzé prête une attention sensible à des constructions urbaines en apparence banales — pistes d’aéroports, façades d’immeubles, intérieurs domestiques, vues aériennes de villes…. — pour enregistrer des scintillements possibles de l’espace à partir de flocons de neige, gouttelettes de jets d’eau, illuminations d’immeubles, clairs de lune, rayonnements solaires… [Sébastien Reuzé n’use d’aucun subterfuge technique pour insérer ces constellations dans l’image. Une seule photographie a fait l’objet d’une manipulation. Il s’agit de la vue de l’Atomium à Bruxelles qui ne peut être photographié sous peine de poursuites judiciaires. Pour contourner cet interdit, Sébastien Reuzé a choisi d’escamoter les branches d’acier reliant les différents globes du monument.] Ses photographies déclinent ainsi des rapports féconds d’absorption, de dispersion, de réflexion et de réverbération de la lumière sur les choses du monde.

L’artiste fait advenir la photographie dans des lieux communs de vie tout en fabriquant des images lumineuses qui parviennent à transporter le spectateur dans un espace autre, un non-lieu davantage flottant, onirique et poétique. La beauté de son acte photographique réside dans cette offrande d’une expérience sensible de l’être déplacé.

Les œuvres de Sébastien Reuzé associent très souvent une vue rasante et horizontale de notre espace urbain avec une ouverture ascendante vers le ciel. Il n’existe pourtant aucune hiérarchie entre le haut et le bas, entre ce qui serait l’inférieur terrestre et le supérieur céleste. Il s’agit juste de soulever un peu le quotidien déjà formaté pour pouvoir rêver d’y provoquer des ouvertures lumineuses, des trouées d’air autorisant la quête d’un bonheur fugace dans les petits riens de la vie : « renouer avec la simple beauté de l’oisiveté », déclare l’artiste.

Ainsi de cette photographie imprimée sur une bâche de 2 x 3 m formant une ligne horizontale dans le bas de l’image, une piste d’aéroport avec ses avions cloués au sol, à l’exception d’un en train de prendre son envol. Tout le reste de l’image est empli d’un ciel chargé de nuages gris et constellé d’étranges points lumineux. Le cadrage particulier terre/ciel et le rapport physique du spectateur au format de la bâche induisent une sensation contradictoire d’un ancrage terrestre, d’une pesanteur inhérente à notre condition humaine, ainsi que d’un élan vers le haut, d’une poussée ascendante. Cette dichotomie spatiale est toutefois atténuée par une impression de flottement provoquée par les points de lumière qui constellent le ciel. Pour l’anecdote, on serait tenté de les identifier à des ovnis mais, plus simplement, ils viennent délester le regard d’un ancrage terrestre et d’un ciel lourd de nuages pour faire venir à nous une lumière irradiante qui point à l’horizon. On se prend alors à éprouver l’aérien, à se rêver comme des énergies voyageuses libérées de toute pesanteur.

Il en va de même pour cette petite photographie collée sous un cristal qui offre en premier et gros plan ce qui serait un parterre de fleurs, duquel surgit un immeuble collectif d’habitation sur fond de ciel bleu. Ce qui aurait pu apparaître comme un espace urbain déshumanisé revêt ici une soudaine beauté. Ou comment un espace d’habitation de masse peut devenir une étamine de fleur. Il ne s’agit pas d’enjoliver ce qui ne peut l’être, mais de déceler des parcelles imperceptibles de vivant qui autorisent le vivre-là.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions La lettre volée)

L’artiste
Sébastien Reuzé, né en 1970 en France, a fait des études artistiques à l’École nationale des Arts visuels de La Cambre à Bruxelles, où il réside.

L’auteur
Larys Frogier est directeur de La Criée, centre d’art contemporain de Rennes.