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Sculptures

La couleur — des verts pastel au rouge sang —, la préciosité de l’émail, sa brillance raffinée et désuète… Les céramiques d’Elsa Sahal séduisent et agacent. Fasciné par l’ iridescence des glaçures et le soyeux des textures, le regard rêve à des caresses, s’insinue délicieusement entre les craquelures, fissures et autres coulures accidentelles dus aux aléas de la cuisson.
Mais la technique rappelle aussi le clinquant de la vaisselle, ses afféteries décoratives et la dérive d’un artisanat traditionnel exploité par le marché du luxe. La plupart des pièces présentées ici ont d’ailleurs été fabriquées par l’artiste à la Manufacture de Sèvres. Rien de très contemporain, en somme. Du moins, à ce qu’il n’y paraît…

Le motif — si l’on peut appeler motif cette hybridation de formes en perpétuelle mutation — contraste avec la technique sophistiquée et légèrement surannée de la céramique. Erectile, vibrante, la matière a quelque chose de primitif. Elle jaillit en excroissances phalliques, s’ouvre sur des orifices explicitement génitaux, prend l’apparence des chairs, s’organise en des plis organiques.
Elsa Sahal accouche de créatures sexuées, à l’identité trouble, à l’humanité incertaine qui tient du minéral  (Grotte généalogique, Grand Précipice) autant que du végétal  (Arbre dont les racines sont restées à l’étage inférieur). Un agglomérat biomorphique auquel s’intègre, par endroit, des éléments de «synthèse» : boulons, vis, cordons, architectures précaires.

Si les règnes se superposent, les sexes aussi. L’artiste fait cohabiter attributs masculins et féminins, dans un fantasme de l’hermaphrodisme. Á la fois mâle et femelle, les sculptures sont comme investies d’une double puissance procréatrice. La fécondité y est exaltée. La maternité, représentée par une sphinge acéphale aux multiples mamelles, devient l’objet d’un culte. On pense à la rangée de seins de l’Artémis d’Ephèse d’Endoios (vers 550 avant J.-C.), déesse de la végétation et de la fertilité, dont plusieurs exemplaires sont visibles au musée du Louvre. Un peu plus loin, Le Gilles rappelle les stèles phalliques de la Grèce antique et leur respectueuse monumentalité.

Corps–paysages aux instincts votifs, ces sculptures se situent comme au-delà de la forme, dans l’Informe Bataillien, dans le chaos des origines. Démembrement, disproportion, déformation… L’humain rejoint l’archaïque ; l’artiste donne une vision morcelée et fragmentée du corps ou au contraire totalement syncrétique, un peu comme chez le nouveau-né qui confond son corps avec le corps d’autrui ou les objets environnants — signe d’une relation symbiotique, comme dans L’Autoportrait à l’enfant.

Elsa Sahal fait d’ailleurs volontairement appel au registre enfantin, et pas seulement en tant que symbole vital par excellence. Les couleurs pastel, les petits personnages de la série des Rebord, la collerette de Pierrot du Gilles renvoient à un univers ludique et puéril.
Une fantaisie joyeuse et légère cohabite avec l’esprit magico sexuel des céramiques, leur religiosité païenne. Ici, le mythologique rejoint le contemporain, liés par la terre — cette matière brute, dense, qui s’anime sous les doigts démiurgiques de l’artiste et la chaleur du feu pour défier les lois de la pesanteur et engendrer un nouvel espace.

Elsa Sahal
Arbre dont les racines sont restées à l’étage inférieur, 2008. Céramique.
Nu randonnant, 2008. Grès chamotté émaillé de Sèvres. 120 x 81 x 32 cm
Maternité aux Ex-Votos, 2007. Céramiques. 80 x 180 x 180 cm
Grotte Généalogique, 2006. Céramiques sur table de métal. 100 x 244 x 122 cm
Le Gilles, 2004. Céramiques sur table de métal. 130 x 300 x 150 cm
Rebord II, 2007. Grès chamotté de Sèvres. 41 x 31 x 35 cm
Rebord III, 2007. Grès chamotté de Sèvres. 52 x 34 x 45 cm
Rebord IV, 2007. Grès chamotté de Sèvres. 52 x 30 x 34 cm