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Sculpter le bois et la terre

Le fait est suffisamment rare pour être souligné : dans les textes qui accompagnent la nouvelle exposition temporaire du Musée des arts décoratifs, les créateurs à l’honneur ne sont pas une seule fois désignés par le nom de… « designer ». Le titre de l’exposition lui-même, « Sculpter le bois et la terre », fait davantage référence au domaine des arts visuels qu’à celui des arts appliqués. La frontière qui séparait l’art et le design aurait-elle définitivement cédé ? A l’heure où la Biennale de Venise attribue le Lion d’or du meilleur artiste à Tobias Rehberger, auteur du réaménagement intérieur du pavillon international, la question semble plus que jamais d’actualité…

Pichets, coupes, urnes et autres formes de contenants, les sculptures de Julian Schwarz et Nicholas Rena puisent leur inspiration formelle dans l’univers des objets les plus usuels. Mais surdimensionnés, ces objets perdent leur valeur utilitaire pour devenir des supports de contemplation, à la manière des pots de Jean-Pierre Raynaud ou des lavabos de Robert Gober.

Les points communs entre les deux artistes ne se limitent pas au seul registre des formes. L’objectif de l’exposition est justement de faire dialoguer leur production respective, en soulignant leurs nombreuses résonances : rigueur et dépouillement, épaisseur massive des volumes, évocations anthropomorphiques. Avec des moyens différents, Julian Schwarz et Nicholas Rena parviennent à donner à leurs sculptures une présence et une énergie presque anachroniques dans une société où dominent la transparence, la précarité et la dématérialisation.

Les douze sculptures de Julian Schwarz, réalisées entre 2003 et 2008, sont réparties en groupes sur trois longues consoles. Taillées manuellement dans la masse d’un tronc puis sculptées à l’aide d’outils traditionnels (dont certains ont été fabriqués ou transformés par l’artiste lui-même), ces pièces mêlent de manière surprenante formes géométriques et organiques. Le bois est laissé brut, donnant à voir les veinures, fissures et taches naturelles qui en font un matériau vivant. Ces irrégularités traduisent l’échange qui s’établit entre l’artiste et la matière : en voyant la Cherry Cup et ses contours asymétriques, on se dit que Julian Schwarz cherche moins à domestiquer son matériau qu’à lui donner la parole. Une impression encore renforcée par l’habitude qu’a l’artiste de baptiser chaque pièce d’après l’essence de bois dont elle est faite : Walnut (noyer), Cherry (merisier), Poplar (peuplier), etc.

Action primaire, l’installation de Nicholas Rena conçue spécialement pour l’exposition, surprend au contraire par la parfaite symétrie de ses composants : une dizaine de céramiques en forme de pichets et de contenants, assemblés en 5 paires disposées en croix. Réalisée par moulage, chaque pièce est recouverte de multiples couches de peinture acrylique de couleur vive qui dissimulent totalement la terre cuite et rendent le matériau inidentifiable. Par leur éclat, leurs dimensions monumentales et la présence charismatique qui s’en dégage, ces pièces semblent posséder une charge spirituelle : l’artiste lui-même les inscrit dans la tradition des objets qui accompagnent les cérémonies religieuses et les rites collectifs. Ritual Vessel (faïence teintée, 2000), l’une de ses pièces antérieures, présentée dans les collections permanentes du musée, témoigne déjà de cette recherche.

Derrière les similitudes évidentes entre les productions de Julian Schwarz et Nicholas Rena se dessinent donc peu à peu deux démarches très personnelles. Il faut prendre le temps de saisir toutes les subtilités de ce dialogue, même si la taille et l’organisation de l’espace d’exposition, mal adaptés aux dimensions et au nombre des œuvres présentées, n’offrent pas le recul nécessaire à une vision d’ensemble.

 

Nicholas Rena
The Ecstasy of St Teresa (détail de l’installation pour le Jerwood Prize, Londres), 2008. Céramique peinte et polie. 
Julian Schwarz
Bull Nosed Vessel, 2005. Chêne. 28 x 83 x 43 cm. 
Nicholas Rena
The Ecstasy of St Teresa (détail de l’installation pour le Jerwood Prize, Londres), 2008. Céramique peinte et polie. 
Julian Schwarz
Two Handled, 2005. Sycomore. 25 x 65 x 35 cm.
Julian Schwarz
Oak Basin, 2008. Chêne. 20 x 87 x 21 cm
Nicholas Rena
The Intended (détail de l’installation à la Scottish Gallery, musée de Birmingham, GB), 2008. Céramiques peintes et polies. Environ 80 cm de haut.