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Sarkis. Le monde est illisible, mon cœur si

Un catalogue fidèle à la scènographie de l’exposition de Sarkis au musée d’art contemporain de Lyon, puisqu’il reprend chacune des trois scènes conçues par l’artiste, avec une générosité d’images réjouissante. Une visite virtuelle très complète que viennent enrichir des textes plus personnels que réellement critiques.

— Éditeurs : Musée d’art contemporain, Lyon / 5 continents, Milan
— Année : 2003
— Format : 21,50 x 26,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 183
— Langue : français
— ISBN : 2-906461-60-1 (France) / 88-7439-013-0 (Italie)
— Prix : 35 €

Le monde est illisible… l’exposition
par Thierry Raspail (extrait, p. 13-14)

L’exposition enfin : le temps, l’interprétation, la transmission, on le sait, sont depuis toujours au cœur de l’œuvre de Sarkis, mais jamais dans un projet antérieur il n’avait à ce point articulé la question des rapports de l’histoire, de la mémoire (pourtant fortement constitutive de la notion de « Kriegsschatz ») et du présent, créant une relation unique entre l’autonomie de l’œuvre et sa capacité à intervenir sur le monde.
« Ma patrie est ma mémoire » était le titre d’une de ses expositions à Berne il y a 17 ans. À Lyon, l’exposition met en œuvre la mécanique de la mémoire estimée à l’aune de nos patries personnelles. À l’heure où trop souvent l’artiste n’a rien d’autre à offrir qu’une posture, Sarkis se donne à un engagement. Optimiste, il renoue avec le bonheur… et avec le risque de se tromper.
Dans le temps long, le musée transforme inéluctablement l’œuvre en objet (alors que « Les musées sont des maisons qui abritent uniquement des pensées », M. Proust). Sarkis a créé le « Kriegsschatz » pour contrevenir à cette inévitable destinée. Ici, dans le temps court de l’exposition, il crée une trajectoire indocile mais implacable qui fait de l’Esthétique de la Réception (Jauss) une œuvre.
De I à II puis à III Sarkis aura côtoyé trois auteurs : Bakhtin, Benjamin et Rifaterre.

Dans la scène I le Kriegsschatz travaille le principe de Bakhtin qui tient pour acquis l’importance du contexte, (l’écheveau unique des faits et gestes qui pour chaque contexte de présentation amplifie la mémoire de l’œuvre. Précisons que cela n’a évidemment rien à voir avec l’art dit « contextuel »).
La scène II « transmue » le temps en espace par l’entremise d’un son tissé comme un sol tandis que le trésor, recouvert, s’estompe. C’est la mise en doute visuelle de la valeur d’exposition benjaminienne (et l’émergence d’un système visuel qui privilégie l’écoute).
La scène III substitue à des œuvres qu’on a encore en mémoire, un dispositif (œuvre nouvelle) qui invite une parole (toutes les paroles) à trier ensemble dans le présent du monde. C’est à « l’intertexte » de chaque locuteur (M. Riffaterre) convoqué par Sarkis, à qui il revient d’entrecroiser les sons puis d’articuler les sens, de l’actuel à l’actualité, puis de l’événement à l’histoire pour en constituer l’épaisseur.
L’exposition pose une question générique: l’art peut-il contenir l’histoire (trésor de souffrance), l’événement (il se passe quelque chose, que se passe t-il ?), le présent (le monde comme il va) en toute conscience, sans que rien ne s’oublie ?

(Texte publié avec l’aimable autorisation du musée d’art contemporain de Lyon)