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Sans titre, 1996-2007

PPhilippe Coubetergues
@12 Jan 2008

L’Arc vient d’inaugurer une exposition rétrospective de l’œuvre de Mathieu Mercier, qui regroupe des travaux réalisés depuis 1993 jusqu’à nos jours. Pour la première fois, cette exposition permet un regard d’ensemble sur une œuvre à la fois riche et complexe.

Mathieu Mercier s’intéresse entre autres à l’objet : l’œuvre d’art comme objet (multiple ou pièce unique), l’objet dans l’œuvre d’art (le ready-made plus ou moins assisté), l’objet de consommation courante, l’objet industriel, le design de l’objet, son rapport à l’espace quotidien, son rapport au corps, son rapport à l’architecture.

Ses œuvres sont par voie de conséquence des objets ambigus qui échappent aux catégories qu’elles citent. Leurs caractéristiques fonctionnelle ou décorative, plus ou moins décelables, associée à leurs qualités plastique et esthétique, les situent dans un espace intermédiaire et non conventionnel. Cela nous interroge sur notre propre rapport aux choses et aux représentations dont elles sont porteuses.

Les procédés sont divers et souvent anti-spectaculaires. Ils consistent généralement en une légère augmentation, un subtil décalage, une discrète déviation ; à l’image de L’Assiette et son motif concentrique répété sur un mur de 1993 (l’une des toutes premières œuvres de l’artiste) qui n’est rien de plus que ce que laisse entendre le titre. A savoir, une assiette parfaitement banale, collée au mur, lequel est entièrement repeint en écho à l’objet. L’objet multiple est ici isolé et décontextualisé. Sa dimension décorative aussi sommaire soit-elle se trouve presque « révélée » par son amplification à l’échelle d’un revêtement mural. Au deuxième degré, cette augmentation successive d’un motif initiale jusqu’aux limites du support, n’est pas sans rappeler quelque principe compositionnel parfaitement repérable dans l’histoire de l’abstraction. L’œuvre joue donc au moins sur deux plans : le décoratif et l’histoire de l’art. Elle se joue également de l’influence de l’un sur l’autre et inversement.

Rares sont les objets de notre univers quotidien qui ne soit sans lien direct ou indirect avec l’histoire des formes et particulièrement son déroulé moderne. Les Å“uvres de Mathieu Mercier nous le rappellent presque systématiquement. Citons, pour exemple supplémentaire, Drum and bass 100% polyester de 2003 (trois objets rouge, jaune, et bleu, disposés harmonieusement sur trois étagères noires fixées à des crémaillères sur fond de mur blanc) : Mondrian au service d’Ikéa, sans doute. Rien de bien nouveau, en somme, si ce n’était le caractère humoristique de la citation qui se joue dans le rapprochement incongru d’un tuyau d’arrosage jaune, d’une boite rouge et d’une couverture bleue. Comme si l’équilibre chromatique pouvait décider du choix des objets que nous remisons sur nos étagères…

L’humour est constamment au rendez-vous. Sous couvert d’un travail conceptuel strictement maintenu dans un champ interprétatif repéré, les œuvres de Mathieu Mercier se déploient en fait sur des registres de signification ouverts et polysémiques, qui intègrent volontiers une dimension ironique, parodique ou simplement cocasse. Les titres dénotent parfois et très implicitement cette connotation latente, comme ceux de Lampe douille-douille ou de Zu.

Mais ils sont plus généralement descriptifs comme pour ramener le regard vers ce qui est seulement à voir (Black box in white cube, Deux chaises, 6h00, etc.) ; une forme de tautologie qui nous en rappelle aussi une autre et qui n’est pas non plus dénuée d’un certain goût pour l’absurde. Depuis 2003, l’artiste renonce aux titres au profit d’un Sans titre plus générique que l’on est tenté d’entendre ici comme un « sans commentaire » dont s’assortissent généralement les meilleurs traits d’esprit.

Il y a du pince en rire chez Mathieu Mercier et l’on ne saurait que conseiller au visiteur de cette exposition de se munir du dépliant qui l’accompagne, pour s’en convaincre si cela était nécessaire. Les notices qu’ils comportent, habilement co-rédigées par l’artiste et Julien Fronsacq, condensent avec beaucoup de subtilité l’intention et les conséquences de chaque œuvre, sans jamais les enfermer dans une signification trop précise. Pour exemples : «Écrasement et division en deux gestes fondant la première expérience analytique par l’artiste du modelage et de la céramique», «exemple ethnographique de la ‘violence des rituels’ dans certaines sociétés anglo-saxonnes du XXe siècle», « animal primitif résidant dans une architecture de standing», etc.

Pour finir, il convient de noter la remarquable scénographie de l’exposition qui tire un excellent parti de l’espace spécifique du musée. Les œuvres se répondent avec finesse, s’associant en sections plus ou moins délimitées par quelques cimaises supplémentaires à l’architecture initiale du lieu.

Mathieu Mercier
— Cubes, 1999. 13 cubes en mélaminé blanc 70 x 70 x 70 cm
— Casque, 1998. Casque de moto chromé 30 x 40 x 30 cm
— 6H00, 1999. Acrylique, horloge Dimensions variables
— Multiprises, 1998. 20 prises électriques, plâtre 60 x 50 cm
— Homme-Femme, automne/hiver 1998, 1998. Magazine, plexiglas, tube fluorescent 65 x 50 x 10 cm
— Multiprises, 1998. 20 prises électriques, plâtre 60 x 50 cm
— Structure de bois et de mélaminé 1,2, 1999. Mélaminé blanc. 220 x 370 x 180 cm
— Lampe double-douille, 1999. 11 ampoules, 10 double douilles. Dimensions variables
— 01, 2000 Image lenticulaire 84 x 59.5 x 3 cm
— Lampe sur caisson lumineux, 2001 Film opalescent sur caisson lumineux 50 x 50 x 10 cm
— Structure d’altuglas et de mélaminé, 2000. Altuglas et mélaminé 100 x 130 x 67 cm
— Deux chaises, 1998/2001. Chaises de jardin en plastique, bois, peinture 90 x 120 x 60 cm
— Holothurie, 2000 – 2004. Aquarium, animal marin (concombre des mers) 160 x100 x 90 cm
— Horloge de fluos, 2001. Fluos standard, système électronique 400 x 150 cm
— ZU, 2001. Impression sur papier Dimensions variables
— AAA, 2002. Caissons lumineux en Plexiglas 40 x 80 cm
— Drum and Bass 100%Polyester, 2003. Étagère, couverture bleue, tuyau jaune, boîtes rouges 200 x 230 x 20 cm
— Sans titre, 2003. Granit. (160 x 240 x 5) x 3
— Sans titre, 2003. Masques de base ball, acier. 40 x 50 x 50 cm
— Sans titre, 2006. Métal, peinture. 44 x 36 x 18 cm
— Sans titre, 2004. Plâtre. 62,5 x 130 x 88 cm
— Sans titre, 2004. Acier, boule de pétanque. 73.5 x 7.2 x 11.5 cm
— Sans titre, 2004. Pierre de silice et moquette. 40 x 200 x 250 cm
— Sans titre, 2006. Acrylique sur toile. 200 cm de diamètre
— Homonculus, 2007. Bronze. 120 x 100 x 102 cm
— Sans titre, 2007. Acier peint. 5 rondins de 3 m de long et 40 cm de diamètre 15 rondins posés sur leur face. 30 cm de haut et 40 cm de diamètre.
— Sans titre, 2007. Fibre de verre. 210 x 190 x 280 cm

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