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Sample and hold

PElisa Fedeli
@13 Oct 2010

Le jeune artiste britannique Chris Cornish expose à la galerie Schleicher+Lange cinq œuvres, dont l'enjeu tourne autour de cette même question: à l'heure de la modélisation numérique, comment dérouter les schémas perspectifs du spectateur et rejouer les frontières entre le réel et le virtuel?

A l’entrée de la Galerie Schleicher+Lange, une forme mystérieuse posée directement sur le sol happe le regard du spectateur. Sculpture en aluminium noir, elle évoque a priori une feuille de papier pliée savamment, agrandie et solidifiée dans la matière. L’énigme est à son comble. C’est en réalité la matérialisation d’un espace atopique, tiré des effets spéciaux du film Stalker d’Andreï Tarkovski (1979).

Chris Cornish a isolé une zone — terme qui donne son titre à la pièce — et lui a donné naissance sous une forme tangible. Cette zone renvoie à un espace fictionnel, celui du cinéma, tout en s’inscrivant dans l’espace réel de la sculpture. L’Å“uvre d’art offre un aller-retour complexe entre fiction et réalité. Elle incarne les codes de l’ordinateur. Le nouveau paysage, qualifié d’«aberration optique», inquiète par son statut indéterminé et son effet dimensionnel propre.

Cette transposition de la dimension numérique à la dimension réelle se retrouve inversée dans la pièce Sample and Hold, titre emprunté à deux manipulations-clés du langage digital.
Une sphère, de la taille d’un ballon, revêtue d’un film réfléchissant, renvoie une vision panoramique de l’espace environnant. L’objet est posé sur un trépied, à la manière d’un appareil photo. En réalité, ce dispositif est un instrument panoptique: la sphère contient un capteur qui enregistre la lumière ambiante. Les déambulations du public sont inscrites dans l’Å“uvre. Face à cet Å“il omniscient et inaccessible, le spectateur est aussitôt frappé par l’inconfort de sa situation.

Au mur, en guise de pendant, est réalisée la transformation numérique de ces données au moyen du «normal mapping». Cette méthode consiste à traduire en 2D le volume d’un relief. Il en résulte une trame de couleurs, proche d’une peinture abstraite. Les contrastes colorés perturbent la vision. L’image rappelle les mécanismes des Å“uvres optiques des années soixante et insère le travail de Chris Cornish dans la tradition picturale.

Enfin, la superposition de l’objet et de son image est également en jeu dans deux photographies intitulées tautologiquement Environnement. Ce sont les scans du mur blanc de la galerie, celui-là même où elles sont accrochées. Dans l’angle supérieur de l’image, on devine le halo du projecteur qui a servi à éclairer le mur. Celui-ci ancre la photographie dans une réalité directe, celle de la prise de vue. Le choix d’une composition éclairée en diagonale est également un emprunt direct aux techniques académiques de la construction perspective. Mais, en même temps, l’image a le pouvoir de transfigurer l’objet. D’une part, le mur devient texture, grâce au jeu de la pixellisation qui accentue son grain. D’autre part, la duplication fait du mur un tableau monochrome, dont la couleur est une référence évidente au tout premier de la modernité.

Enfin, la vidéo The Trasher, silencieuse et déroulée en boucle, fait se rencontrer deux espaces incompatibles: une des salles de l’Institut Courtaut, que l’artiste a bel et bien filmée, devient le théâtre d’un phénomène étrange simulé par ordinateur. Le volume de la pièce est entièrement occupé par une surface plane, suspendue en l’air comme par miracle. Une de ses faces, habillée de miroir, reflète l’espace environnant. L’autre face au contraire, telle une bouche d’aération, crache un nuage de fumée opaque qui produit des formes dansantes et bouche la vue. D’un côté, l’ouverture d’une perspective, de l’autre son obstruction. D’un côté, le monde réel, de l’autre son spectre.

Dans les paysages fictionnels de Chris Cornish, le processus de création, entièrement numérisé, est à chaque fois une mise à distance du geste de l’artiste, une négation du contact avec la matière. Cette approche réactive ainsi sous une autre forme la démarche des artistes conceptuels des années 1960. Les nouvelles technologies, autre traduction possible du réel, sont convoquées pour interroger les conditions d’apparition des formes.

— Chris Cornish, The Zone, 2008-2009. Aluminium composite, acrylic. Variable dimensions
— Chris Cornish, The Adventure and the resolution, 2010. Video, looped
— Chris Cornish, Sample and hold, 2010. Spun steel, paint, tripod. 30 x 30 x 30 cm
— Chris Cornish, Environnement. Photographie
— Chris Cornish, The Trasher. Vidéo


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