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Sam Samore & Christoph Draeger

PMaxence Alcalde
@12 Jan 2008

Dans The Suicidist, Sam Samore rejoue des scènes de suicide, tandis que les Voyages apocalyptiques de Christoph Draeger explorent des catastrophes diffusées dans les JT à la télé, qui servent de fond à la vie quotidienne. Regards sombres par deux artistes nés dans les années 1960. 

«The Suicidist» est, à bien des égards, une étrange série de photographies qui s’éloigne sensiblement des œuvres auxquelles Sam Samore nous avait habitué. La première approche de ces clichés nous plonge dans l’histoire du fait divers, des photographies de Weegee jusqu’aux images marquantes du suicide de Kurt Cobain au début des années 1990.
Ici, la mort volontaire est doublement mise en scène: une première fois par la simulation lorsqu’on se rend compte que ces scènes sont jouées; et une seconde fois lorsqu’on prête attention au décor. L’ironie de ses images réside dans le fait qu’on oublie rapidement le suicidé pour s’arrêter sur l’environnement qui encadre l’action. Intérieur middle-class des années 1970, chambre d’étudiant, bas de caisse d’une voiture de sport ou bâtiment administratif, détournent notre regard du cadavre.

Alors Samore nous rappelle à l’ordre avec le titre de ses œuvres: The Suicidist. Le suicide devient un «isme». Samore rend le mythe de l’artiste «suicidé de la société» accessible au plus grand nombre, mais encore faut-il mettre son geste en scène selon les règles. Bien plus qu’un artiste, le «suicidist» adopte une attitude, une posture. Il s’agit d’être cool même quand on se supprime, du moins c’est ce que sous entend le cynisme glacial de Samore. Le suicide vintage serait-il devenu une marque de savoir-vivre?

La fascination pour la mort violente et la destruction ne date pas d’hier. Le spectacle de l’apocalypse se retrouve dans la plupart des mythes humains, et ce n’est pas un hasard si cette même fascination se rejoue dans les mass media.

Fort de ce constat, Christoph Draeger ne se contente pas de nous présenter un best of des plus belles images de catastrophes des trente dernières années, il nous offre une réflexion à leur sujet. Il refuse aussi l’esthétisation que Warhol avait donnée à ce type d’événement transformé en véritable icône dans les années 1960.
Avec Draeger, le crash de l’avion de la TWA (1998), le tremblement de terre de Kobe, ou celui de Turquie, les ravages du cyclone David (1979), les débris des Twin Towers, sont transformés en puzzles géants.
Retour à une esthétique du jeu, à moins qu’il ne s’agisse d’un art de la dissémination nettement plus mélancolique à la manière d’un Felix Gonzalez-Torres. S’enclenche alors une résonance entre la scène d’apocalypse et la forme du puzzle. Tout mettre en miettes puis reconstruire, répétition du même, déréalisation et distanciation participent à ce bestiaire.

Mais qu’en est-il de la télévision, cette petite boîte qui distribue des certificats de légitimité sans faire de distinction entre un paquet de lessive (vu à la télé) et un homme politique (vu à la télé). La petite boîte cherche à nous séduire, et plus il y a de monde dans la machine, plus il faut être exubérant pour attirer l’attention du badaud. La concurrence est rude: entre les émissions de télé-réalité et les telenovelas, les informations sont sommées de se transformer en Barnum.
Avec la vidéo , Draeger nous fait vivre en direct une série de catastrophes présentée par un animateur à fleur de peau. Reprenant tour à tour la logorrhée verbale du bonimenteur, la conviction du télé évangéliste et l’indignation d’une Miss France, le présentateur de JT fait monter la sauce.
Derrière lui défilent les images de tremblements de terre, d’attentats ou d’accidents entrecoupés de «flash spécial». Submergé par l’émotion, le présentateur déborde, s’excite et verse une larme… la fin du monde est proche et c’est en live à la télé.
 

Sam Samore
— The Suicidist n°6, 1973. Photographie noir et blanc. 33 x 55 cm.
— The Suicidist n°2, 1973. Photographie noir et blanc. 33 x 55 cm.
— The Suicidist n°5, 2005. Photographie noir et blanc. 33 x 55 cm.
— The Suicidist n°12, 1973. Photographie noir et blanc. 33 x 55 cm.
— The suicidist n°7, 1973. Photographie noir et blanc. 33 x 55 cm.

Christoph Draeger
— Earthquake (Gölcük; Turkey, aug. 17 1999), 2005. Impression ultra-violet sur puzzle. 136 x 96 cm.
— Earthquake (Kobe, jan. 17 2005), 2005. Impression ultra-violet sur puzzle. 106 x 158 cm.
— Ground Zero, sept. 12 2001, 2005. Impression ultra-violet sur puzzle. 158 x 212 cm.
— Hurricane David (Dominican Republic, 1979), 2005. Impression ultra-violet sur puzzle. 136 x 96 cm.
— TWA 800#6 (reconstruction in Calverton, Long Island, 1998), 2005. Impression ultra-violet sur puzzle. 106 x 158 cm.

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