ART | CRITIQUE

Salammbô Schreber

PAnne Lehut
@07 Nov 2011

La galerie Jean Brolly présente pour la première fois une exposition personnelle de Benjamin Swaim. Un noir profond, décliné en peinture, ou à l’encre de Chine; des formes hybrides, à l’érotisme certain, parfois dérangeant: un «expressionnisme queer» que l’artiste revendique.

«Salammbô Schreber»: le titre de l’exposition qui est aussi le titre d’une des séries présentées annonce le programme. A travers Salammbô, c’est bien sûr de l’héroïne féminine qu’il est question, celle de Flaubert. A travers Schreber, magistrat de la toute fin du XIXe siècle, plus connu pour ses délires psychotiques dont il fait part dans Mémoires d’un névropathe, c’est finalement la question du genre qui est effleurée. En effet, après un premier internement, le magistrat voit naître en lui un désir homosexuel pour son médecin, ce qui l’amène à vouloir devenir femme, avant de s’enfoncer dans un véritable délire de persécution. Freud analysera ce cas, à une époque où l’homosexualité était encore considérée comme une perversion.

Les œuvres de la série «Salammbô Schreber» sont de grandes toiles, dont le fond est toujours noir. Des formes s’y déploient, hybrides, souvent abstraites. Et surtout évocatrices. On a souvent l’impression d’y reconnaître des organes, des détails intimes. Deux formes semblent récurrentes: la cavité et la proéminence. «La représentation picturale de corps sexués, voilà l’objet de mon travail», déclare Selon Benjamin Swaim.
Il ne faut donc pas craindre de voir ce qu’on n’ose parfois que deviner. Dans plusieurs toiles, les formes organiques semblent se terminer en l’objet fétichiste par excellence: l’escarpin féminin. Les deux principes, féminin et masculin, s’entremêlent totalement, ou s’opposent artificiellement, non sans humour, dans deux toiles intitulées respectivement Monsieur et Madame.

Doté d’une solide formation philosophique, et bon lecteur de Freud et de Bataille, Benjamin Swaim déclarait en 2009 être comme eux persuadé que le désir sexuel était au cÅ“ur de la pratique artistique.

La peinture de Benjamin Swaim est aussi une histoire de matières. Le noir y est présent dans toutes ses nuances; tantôt mat, tantôt brillant. Parfois très poudreux, la couleur qui vient s’y poser ressemble davantage à de la craie sur un tableau noir. En s’approchant, on devine que beaucoup de choses se cachent sous la couche noire. Car la peinture de Benjamin Swaim est aussi une peinture du repentir, cette «saleté qui, déclare-t-il, me dégoûte et me plaît à la fois».

«Les sculptures de ma mère» est la deuxième série présentée à la galerie (principalement dans la Vitrine, espace donnant directement sur la rue). S’agissant toujours d’huiles sur toile, on y voit apparaître des formes blanches, toujours sur fond noir. C’est une histoire de recouvrement et d’enfouissement qui se joue ici — voire de refoulement. La psychologie n’est jamais loin…

Benjamin Swaim aurait recouvert des scènes de coït de peinture noire, ne laissant apparaître que quelques formes abstraites, là aussi souvent très organiques. Ces formes feraient alors allusion aux sculptures que la mère de l’artiste aurait sculptées dans l’enfance de ce dernier.
Fiction? Par les images qui apparaissent et par la façon même dont Benjamin Swaim les obtient, ce sont les tabous des fantasmes de l’enfant qui surgissent. En un mot, Å’dipe — ou sa parodie. Une toile, La Boule suspendue, évoque très directement l’un des «objets à fonctionnement symbolique» de Giacometti: le désir et l’inconscient y sont, là aussi, des composantes majeures.

Il ne faut pas manquer les images recouvertes. Images déjà existantes, en noir et blanc, récupérées dans des livres, elles sont recouvertes partiellement d’encre de Chine. Certaines formes subsistent, épargnées par l’artiste. D’autres semblent littéralement survivre, à travers la transparence de l’encre de Chine et grâce à l’action de la lumière, leur donnant une apparence fantomatique. Parfois, des histoires se construisent.
Comme le fait remarquer Benjamin Swaim lui-même, la réappropriation d’images existantes est devenu un poncif de l’art contemporain. Mais peu importe que la peinture soit un médium peut-être un peu méprisé, peu importe qu’il ne soit pas le premier à avoir telle idée: «Je crois qu’il faut suivre une idée lorsqu’elle toque à la vitre».
C’est l’attitude que doit adopter le spectateur: suivre, à l’écoute de nos propres désirs, de nos propres pulsions.

Lire
L’interview de Benjamin Swaim (réalisée par Lilian Davies)

Å’uvres
— Benjamin Swaim, Madame, 2009-10. Huile sur toile. 215 x 125 cm
— Benjamin Swaim, Salammbô Schreber, 2009-10. Huile sur toile. 240 x 147 cm
— Benjamin Swaim, Salammbô Schreber, 2011. Huile sur toile. 146 x 114 cm
— Benjamin Swaim, Les sculptures de ma mère, 2008-10. Huile sur toile. 89 x 130 cm
— Benjamin Swaim, Les sculptures de ma mère, 2008-10. Huile sur toile. 73 x 60 cm
— Benjamin Swaim, Fertilité du diable, 2009-10. Encre de chine sur papier imprimé. 29,5 x 23 cm
— Benjamin Swaim, Fertilité du diable, 2009-10. Encre de chine sur papier imprimé. 29,5 x 23 cm

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