ART | CRITIQUE

Russell Crotty

PNatalia Grigorieva
@12 Jan 2008

Les œuvres de Russell Crotty sont aussi singulières que son mode de vie. Artiste solitaire et astronome amateur, il cartographie inlassablement le ciel nocturne qu’il observe amoureusement depuis de longues années. Il en résulte des dessins, des livres géants et des globes, entre science et art.

Pendant que la vie grouille dans les mégalopoles, Russell Crotty observe les étoiles. Sous ses pieds, Los Angeles. Mais à la ville et à ses plaisirs superficiels, il préfère le télescope de l’Observatoire de Solstice Peak qu’il a fabriqué lui-même. Perché dans les montagnes de Santa Monica, à Malibu, il griffonne des dessins, prend des notes sur les mouvements des astres.
Puis, avec son stylo bille, il noircit scrupuleusement, méthodiquement, l’œuvre en devenir. La vie des constellations, des galaxies, et autres nébuleuses, sont ainsi retranscrites dans les moindres détails sur les dessins circulaires, les globes en fibre de verre recouverts de papiers et les atlas du ciel dont les dimensions avoisinent un mètre de hauteur et de largeur pour une dizaine de centimètres d’épaisseur.

La création combine la virtuosité des peintres de la Renaissance, leur quête de perfection et l’engouement pour l’astronomie tel que l’a connu le XIXe siècle. Le résultat, basé uniquement sur l’observation, est délicat, précieux, vibrant.
L’univers reproduit par Russell Crotty ne perd rien de sa grandeur mais semble tout à coup fragile et presque humain. La fascination de l’artiste est contagieuse et on a quelque difficulté à réprimer le frisson du respect que fait courir l’évocation de l’infini céleste. De dimensions variables, les globes sont suspendus au plafond, à hauteur d’yeux pour faire admirer les détails, les milliers de coups de stylo. En faire le tour revient à devenir soi-même un satellite, un des astres de l’univers de Russell Crotty, avant de se perdre dans le ciel nocturne au-dessus des montagnes ou de l’océan.

Aux paysages, se rajoute fréquemment l’écriture. Tantôt, ce sont des descriptions poétiques des aventures dans la nature sauvage, par exemple un pique-nique nocturne autour d’un feu comme c’est le cas de Jupiter Over the Eastern Sierra. Sur d’autres travaux, le texte devient plus militant. En effet, amoureux transi de la nature, Russell Crotty ne peut que déplorer la colonisation du littoral par les hideux immeubles résidentiels. Ainsi, Extinction (Coastal Chaparral), énumère les multiples formules dont usent les agents immobiliers pour appâter les acheteurs : Adorable bungalow, Frank Gehry Artist Loft, Cavort on Your Own Private Beach. Mais plus que des observations ou des prises de positions, l’écriture est un élément graphique à part entière. Elle inscrit discrètement la présence humaine dans le paysage, rythme, ordonne ce qui est observé. C’est la contribution de l’homme au fonctionnement de l’univers.

L’œuvre de Russell Crotty est en quelque sorte «reposante» car on y perçoit un peu de la sérénité du quotidien de l’artiste, le bruit du vent et des vagues, loin de la ville et de ses tapages. Reposante, cette œuvre fait abstraction des anxiétés contemporaines, des querelles artistiques, de la politique, des obsessions religieuses… Artisan passionné, l’artiste vit dans un espace-temps décalé qui s’étire et s’écoule doucement. Témoin privilégié de la vie astrale, Russell Crotty a choisi de prendre son temps pour vivre et créer. Loin des tendances, son dernier souci est d’être à la mode.

Russell Crotty :
—  Annals of the Solstice Peak Observatory – Epoch 1994-2000, 2000-2001. Livre. 102 x 110 x 8 cm (fermé).
— Scorpius rising over Wild Mustard, 2005. Encre et aquarelle sur papier marouflé sur Plexiglas. 92 cm de diamètre.
— NGC5466 Globular Cluster in Bootes (The Ghost), 2005. Encre et aquarelle sur papier marouflé sur Plexiglas. 61 cm de diamètre.
— Extinction I, 2005. Encre et aquarelle sur papier marouflé sur Plexiglas. 61 cm de diamètre.
— The Realm of the Clusters over Reyes Peak, 2005. Encre et aquarelle sur papier. 122 x 122 cm.
— Jupiter over the Eastern Sierra, 2005. Encre et aquarelle sur papier. 51 x 51 cm.
— Extinction (Coastal Chaparral), 2005. Encre et aquarelle sur papier. 51 x 51 cm.

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