ART | CRITIQUE

Ruins of Love

Vernissage le 29 Avr 2006
PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Si le sublime occupe une part importante de son travail, tout comme le spectaculaire qu’il densifie souvent pour le critiquer (on se souvient de la série des «Arrangements»), Ange Leccia présente ici une série qui sort des sentiers de la gloire pour gagner le terrain plus obscur des travers de l’humanité.

«Ruins of Love» s’articule autour de cinq photographies et d’une vidéo. Dans les deux ensembles, l’artiste nous plonge dans un état de surnaturel très travaillé quand bien même les sujets traités nous ramène à une réalité contemporaine souvent peu flatteuse. Les photos explorent le monde de la nuit en Asie, celui des filles, du sexe et des rues sales. Les travées que Leccia emprunte se poursuivent jusqu’à l’absolu désert de la vidéo où caméra embarquée, il nous fait longer les palissades barbelées d’un ancien camp de redressement devenu le Musée du génocide Khmer à Phnom Penh au Cambodge.

Qu’y a-t-il derrière ces Ruins of Love? Avant tout, la dérive d’un monde rompu à la violence. La violence des images, des symboles et de l’histoire. Les visages qu’il photographie dans la lumière des phares des voitures, expriment la contrainte des filles livrées en pâture. Le décor en ajoute aussi: les néons criards des réverbères, les rideaux de fer baissés, les terrains vagues, les lieux douloureux de la mémoire, tout concourt à la permanence du malaise.
La vidéo fait progresser le regard sur les barbelés de l’ancien camp en le rythmant par un mix de sons provenant de la ville, de chansons aussi puissantes que le Bloody Sunday de U2 et d’autres bruits rapportés, par moments métalliques, lourds ou furtifs, difficilement déchiffrables et surtout totalement décontextualisés de ce travelling volé, juste éclairé à la lumière d’une lampe-torche.

Les Ruins of Love spécifient une atmosphère qui oscille entre une certaine torpeur (Leccia décrit avec une minutie particulière le climat chaud et humide du pays) et un saisissement glacé (l’artiste nous place dans la posture du voyeur, voire du proxénète lorsqu’il photographie la scène en se mettant à l’écart).

La prime à l’image n’empêche pas Ange Leccia d’introduire le texte, à travers des séquences courtes ou bien légèrement décalées. Le texte donne des indications en thaïlandais ou en anglais qui semblent, en quelque sorte, informer, diriger et qualifier le contenu des images. Mais c’est toujours subrepticement que le texte se glisse, comme un faussaire, comme s’il se superposait à la scène.
Voilà bien encore l’une des marques de son travail: le mélange, la superposition de l’information, la simultanéité des signes en regard du flux d’information que l’on reçoit quotidiennement; et le parallèle qui naît de ce voisinage forcé et que nous formons inconsciemment à la lecture de son travail.

Mais plutôt que de sortir de la mêlée, d’offrir une vision synthétique des événements, de faire oeuvre documentaire, Ange Leccia ne se détache pas de cette vision raccourcie, au plus près, comme au contact de l’émotion et du sensible. Ses images ont ceci de touchantes qu’elles retiennent le souffle de la réalité. Même dans la douleur, même dans le rejet de ce qu’elles racontent, elles se parcourent comme on frôle une peau.

Ange Leccia
— Ruins of Love I, 2006. Photographie sur aluminium. 91 x 220 cm. — Ruins of Love II, 2006. Vidéo.
— Ruins of Love II, 2006. Photographie sur aluminium. 100 x 260,76 cm.
Ange Leccia, Ruins of Love III, 2006. Photographie sur aluminium. 180,26 x 119,24 cm.
— Ruins of Love IV, 2006. Photographie sur aluminium. 90 x 119,06 cm.
— Ruins of Love V, 2006. Photographie sur aluminium. 90 x 119,06 cm.

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