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Rona Pondick

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@12 Jan 2008

Inscrites dans le lignage des représentations d’êtres transformés, de corps métamorphosés, d’androïdes et de monstres, les sculptures de Rona Pondick, mi-animales, mi-humaines, explorent les limites du corps, interrogent l’idée même du vivant.

De la peinture de Jérôme Bosch aux œuvres de Goya ou d’Odilon Redon, des images de Diane Arbus, Joel Peter Witkin ou Matthew Barney au cinéma de Fritz Lang, Tod Browning ou encore David Lynch : les êtres transformés, les corps métamorphosés, les androïdes et les monstres traversent l’histoire des représentations. Mi-animales, mi-humaines, les sculptures de Rona Pondick s’inscrivent dans ce lignage. Elles explorent les limites du corps dans une dimension qui interroge l’idée même du vivant, mais dans un contexte bio-technologique où clonages et manipulations génétiques sont bel et bien devenus une réalité. Pour les réaliser, l’artiste moule certaines parties de son propre corps — le visage, les mains, les pieds — qu’elle modélise ensuite numériquement en 3D avant de les couler dans de l’acier inoxydable, de la silicone ou du bronze. Ces différentes étapes qui pour certaines sculptures — Dog, notamment — peuvent prendre plusieurs mois, produisent au final des objets hybrides et glacés d’une inquiétante beauté.

Disposées délicatement à même le sol, ces combinaisons de fragments d’humain et d’animal ne sont pas faciles à saisir et à interpréter. En effet, la qualité du modelage, la finesse des détails de la peau humaine — opposée à celle des animaux, parfaitement lisse — alliées à la froideur des matériaux utilisés créent, curieusement, une  » distance  » qu’il nous faut peupler tant sur un plan physique que psychologique. Jouant sur la fascination, teintée de stupeur, que provoquent de telles représentations, Rona Pondick ne cherche pas à nous renvoyer à une normalité rassurante mais, plutôt, à une altérité trouble et angoissée. Ainsi Untilted Animal (1999-2001) présente un hybride de phoque ou de singe à jambe humaine. Radicalement altéré, ce croisement monstrueux dégage des sentiments contradictoires qui expriment, paradoxalement, une immense mélancolie. Posée nonchalamment sur une patte, la tête douce de l’animal, sa posture ambiguë entre abandon, sommeil ou soumission, jure en effet avec l’excroissance humaine disproportionnée — en l’occurrence le moulage de la jambe et du pied de l’artiste — qui vient prolonger le buste glabre.

Loin de s’ériger, de se dresser triomphalement, la sculpture est, chez Pondick, mise à terre. Cette  » chute  » conjointement réelle et symbolique (les mutations possibles ou fantasmées du corps humain à l’âge contemporain), travaille la plupart des œuvres. Elle permet à l’artiste de se cristalliser sur des  » objets qui se suffisent à eux-mêmes « . Cette focalisation évoque certaines voies théoriques et esthétiques ouvertes par la sculpture minimaliste à laquelle Pondick dit avoir été formée, même si l’Art Minimal a toujours tenu à prendre ses distances avec la représentation du corps. Alors que ses travaux antérieurs jouaient avec les tensions, parfois répugnantes, provoquées par l’amoncellement et la dissémination de fragments de son propre corps (moulages de ses dents ou de ses oreilles), les transgressions qui aujourd’hui opèrent dans les dernières œuvres suscitent un ensemble de sentiments mêlés : tristesse, peur, abandon, pulsion sexuelle, répulsion, mort, désir, effroi, projections, etc.

En ce sens, Monkeys (1998-2001) semble synthétiser les obsessions de l’artiste. Cet enchevêtrement de primates dotés de bras et de jambes humaines, situé aux confins du corps et du psychisme, est la seule pièce de l’exposition qui prolifère horizontalement dans l’espace avec une telle puissance de vie, une telle rage. Noués, agglutinés, se grimpant les uns sur les autres dans un silence assourdissant (bouches et yeux hermétiquement clos), ces mutants comme privés de langage, leurs postures, dégagent un sentiment de féroce copulation, à la frontière d’un cannibalisme sauvage qui menace de tous les engloutir. Nécessairement physique et sensoriel, le rapport au monde du corps se trouble ici considérablement. Reconfigurant les territoires et les géographies mentales propres à chaque espèce, Monkeys explore sans détours les questions abyssales du désir et de la sexualité, dont on sait combien elles sont essentielles à la vie psychique et sensible de l’être humain. S’appuyant sur une imagerie déjà riche en figures hybrides — faunes, satyres, gorgones, sphinx, etc. — mais au plus près des problématiques contemporaines tracées par les révolutions génétiques en cours, Rona Pondick, en croisant modèles scientifiques et métaphores esthétiques, interroge les devenirs du corps humain dans un environnement technologique qui en repousse toujours plus loin les limites.

Rona Pondick
— Pine Marten, 2000-2001. Inox. 22,9 x 47,9 x 17,1 cm.

— Monkeys, 1998-2001. Inox. 104,1 x 167,6 x 217,2 cm.

— Ram’s Head, 2000-2001. Inox bleu jaune. 20,3 x 61 x 26,7 cm.

— Worry Beads, 1999-2001. Bronze. 3,8 x 61 x 5,1 cm.

— Dog, 1998-2001. Inox jaune. 71,1 x 50 x 81,3 cm.

— Marmot, 1998-2001. Caoutchouc de silicone. 15,2 x 73,7 x 53,3 cm.

— Untilted Animal, 1999-2001. Carbon Steel. 16,5 x 113 x 54,6 cm.

— Untilted Animal, 1999-2001. Inox. 16,5 x 113 x 54,6 cm.

— Fox, 1999. Carbon Steel. 36,8 x 20,3 x 96,5 cm.

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