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Rona Pondick. Works 1986-2001

Une œuvre étrange, mêlant fascination et répulsion, où l’hybridation côtoie la manipulation génétique — humaine et végétale. Une galerie de monstres pour explorer les fantasmes horrifiques et morbides de l’artiste, qui sont ceux, sous-jacents, de l’humanité.

— Éditeurs : Galerie Thaddaeus Ropac, Paris / Sonnabend Gallery, New York / Galleria d’Arte Moderna Bologna, Bologne / DeCordova Museum, Massachusetts / Groninger Museum, Groningen
— Année : 2002
— Format : 28,50 x 24 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 157
— Langues : français, anglais
— ISBN : 0-9713411-0-9
— Prix : non précisé

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste à la galerie Thaddaeus Ropac (fév.-mars 2002)

Au-delà de l’ordre des choses
par Sue-An van Der Zijpp

Depuis 1986, le travail de Rona Pondick s’est centré sur le corps humain. Comment parle-t-on d’une artiste qui a présenté au public, en guise d’art, des lits, des chaussures, des biberons, des monceaux de seins, de dents, d’oreilles, de merde? Cet univers d’images suggestives et mystérieuses a inspiré à de nombreux auteurs des commentaires très divers. Il n’a jamais été facile de situer précisément l’œuvre de cette artiste, mais ses nouvelles sculptures sont encore plus déconcertantes. Pourquoi a-t-on autant de mal à ranger le travail de Pondick dans une catégorie précise ? Est-ce à cause de la véritable peur qu’inspire son travail ? Ou à cause des désirs non souhaitables et souvent non reconnus dont sa sculpture nous rend conscients ?

Mark Wilson, commissaire d’expositions, utilise le mot « liminal » pour expliquer l’art de Pondick : « « Liminal » s’applique à des choses, à des lieux, à des gens, à des mots qui ne trouvent pas leur place. Plus exactement, qui ne s’insèrent pas dans les catégories normales dont nous avons l’habitude … les êtres humains se sentent souvent mal à l’aise, gênés, voire menacés devant tout ce qui relève du liminal…. Les objets qui participent de l’ordre sont sécurisants et ne représentent aucune menace. Ce qui est désordonné, ce qui ne s’insère pas dans les catégories culturelles ordonnées, est liminal, donc dangereux. » [Mark Wilson, « Het liminale lichaam : De beelden van Rona Pondick », in Metropolis M, n°4 (août 1994), pp. 32-33]. Selon cet auteur, l’art liminal a des propriétés qui peuvent nous donner l’impression de mettre en danger notre dignité et l’image que nous avons de nous-mêmes.

Le dernier ensemble d’œuvres de Pondick, commencé en 1998, semble se référer à la sculpture classique mais, paradoxalement, certains éléments de ces compositions ne pourraient avoir été produits sans faire appel aux nouvelles technologies. Dans Worry Beads, Monkeys, Pine Martin, et Ram’s Head, la modélisation informatique en 3-D a permis à l’artiste d’obtenir des versions réduites de sa propre tête; quant aux matériaux qu’elle a utilisés, comme par exemple l’acier inoxydable ou le silicone, ils sont loin d’être classiques.

Le travail récent de Pondick est empreint d’une parfaite étrangeté, née de la beauté et de l’aliénation. Dog, Fox, ou Cougar sont des hybrides, mi-humains mi-animaux. Des membres humains semblent rattachés à des corps d’animaux, mais la caractéristique la plus étonnante de ces hybrides est l’apparition saisissante de l’artiste elle-même. Dans chacune de ces sculptures, la tête et les membres humains sont ceux de l’artiste. Les hybrides de Pondick fusionnent l’animal et un être humain qui n’est autre qu’elle-même; ces sculptures chevauchent plusieurs catégories historiques. Elles se refusent à tout classement définitif et sont essentiellement « peu sûres, au milieu, entre les deux. » [Ibid.]

Pondick combine la technologie de haut niveau et la pratique artistique traditionnelle; elle allie les références classiques et mythologiques à des images Frankensteiniennes. Elle ajoute l’horreur d’une expérience de génie génétique qui a mal tourné à un inquiétant autoportrait. Ses sculptures hybrides, mi-animales mi-humaines, plongent de profondes racines dans la réalité d’une ère nouvelle. Le travail de Pondick a pris de l’avance par rapport à son public. C’est maintenant à nous de trouver des mots nouveaux pour qualifier ces œuvres, belles, étranges, troublantes, et fascinantes.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de la galerie Thaddaeus Ropac)

Les auteurs
Sue-An van Der Zijpp est commissaire de l’exposition au Groninger Museum à Groningen, Pays-Bas.
Peter Weiermair est directeur de la Galleria d’Arte Moderna Bologna, à Bologne, Italie.

L’artiste
Rona Pondick est né en 1952 à Brooklyn, New York, États-Unis.