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Rock’n’roll 39-59

PMaxime Thieffine
@12 Jan 2008

Films, magazines, posters, objets, chansons mais aussi oeuvres photographiques de premier plan constituent une riche documentation sur les principales stars de l’âge d’or du rock’n’roll entre 1954 et 1959 et sur ses racines dans la culture populaire noire américaine.

Exposer le rock’n’roll ! Pas facile ou même absurde ? Conçue comme un survol ethnologique, l’exposition permet de voir le sujet avec recul, sans le côté promotionnel du fan qui voudrait convaincre à tout prix. Entre objets d’époque, documents sonores et visuels, le spectateur se promène dans un espace d’information qui resitue le contexte de l’apparition de cette musique, ses racines et ses figures emblématiques. Les commissaires ont eu la bonne idée de se focaliser sur une brève période, d’être pointus dans les infos et les dates et de laisser heureusement de côté le rock français.

Une très belle généalogie murale du rock permettra de choisir son point d’écoute en enfonçant un jack de casque audio sous l’étoile correspondant à un nom clé de cette galaxie.
La scénographie agréable et fluide de Nathalie Crinière (déjà responsable des expositions «Hitchcock» et «Roland Barthes» à Beaubourg) organise les vitrines et la longue fresque d’informations conçue par Greg Geller, qui dessine une extraordinaire chronologie allant de 1954 à 1959. Mois par mois, elle réunit textes, pochettes de disques, posters de concerts, photographies et pages de magazines d’époque.
Coloré et intelligent, ce mur est un vrai livre de montage et de collage de documents où peuvent se côtoyer, par exemple, à la même date, l’annonce d’un essai de la bombe H américaine et la sortie du 45t de doo-wop des Chords « sh-boom ».

Les nombreuses photographies documentaires qui parsèment l’exposition révèlent aussi bien d’excellents auteurs que des images de mythes vivants. La série d’Alfred Wertheimer réalisée en 1956 saisit le mythe en simple documentariste. Les foules en délires, les vues de concerts ou la solitude de Elvis en répétition ont (au pire) des airs de toiles d’Edward Hopper et (au mieux) de peinture mythologiques de David.
Les corps sont pris par quelque chose de plus fort qu’eux-mêmes, dans un moment de communion, le respect et l’attention de l’artiste pour ce qui se passe en font des traces du secret dramatique d’une civilisation. C’est très bizarrement la réactivation de transes rituelles comme en filmait Jean Rouch au même moment.

Les photographies d’adolescents de Esther Bubley révèlent une grande artiste, celles de Bruce Davidson annoncent déjà Diane Arbus, Larry Clark ou Bruce Conner. Les photographies sur les quartiers et modes de vies des noirs américains des années 1930 et 1940 de Dorothea Lange, Marion Post Wolcott, et Cornell Capa sont également des oeuvres à ne pas rater.

La présence essentielle des noirs américains rappelle que ce moment du rock’n’roll est surtout celui de l’apparition de certains corps et comportements dans le monde des images.
Cette exposition a du sens car en plus de célébrer un style musical, elle montre que celui-ci bénéficie de l’émergence des mass média (radio, télévision, disques), des transports de masse (voiture, avions, trains), et de la naissance d’une classe sociale : les adolescents et leur agent de poche. Ils apparaissent dans les images médiatiques et ne vont plus les quitter. Il est difficile de dire si cela fut un rééquilibrage par rapport à la ségrégation et au racisme, mais cette jeunesse blanche a réellement absorbé dans ses corps les rythmes des musiques afro-américaines.

L’excellent documentaire de Patrick Montgomery et Pamela Page, Rock’n’Roll: The Early Days (1984) projeté au rez-de-chaussée montre que le rock est bien une histoire de corps en scène et de performances.
S’ils portaient tous un costume du dimanche, la transgression et l’écriture venaient donc d’ailleurs: du mouvement des corps (Elvis), des postures (Chuck Berry, Little Richards), des jeux avec la mèche de cheveux (Jerry Lee lewis) et de l’usage des mots : onomatopées, assonances enfantines absurdes, jeux de mots sexuels.
Entre transe rituelles, jeu de cabaret, pantomimes et acrobaties, c’est tout un imaginaire du corps devant une foule qui s’invente ici et passe à la postérité par l’enregistrement.

Pour les collectionneurs de tout genre, les érudits de culture populaire, les anthropologues des mass médias, les graphistes (qui apprécieront l’iconographie des pochettes de disques et la typo des posters de concerts) et les fans bien sur, cette exposition est une réussite. Le catalogue permettra aux visiteurs qui n’ont pas eu le courage de rester plusieurs heures debout à tout lire de la faire tranquillement chez eux. 

Anonyme
— The Two Kings : Elvis Presley et B.B. King backstage à la WDIA Goodwill Review, 1957.
— Guitare de Buddy Holly, Gibson J-45 Guitar, 1943.
— Vue de l’exposition Rock’n’Roll 39-59, 2007.

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