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Robert Breer

PPierre Juhasz
@12 Jan 2008

L’exposition consacrée à Robert Breer, artiste dont l’œuvre protéiforme est encore insuffisamment connue, insuffisamment reconnue, en France, présente des sculptures, un film récent, des dessins et collages et un document sur un happening fait dans les années soixante, avec les sculptures de l’artiste.

Les sculptures qui occupent la pièce principale de la galerie étaient encore inédites en France. Elles se présentent selon des formes géométriques simples — parallélépipède rectangle, colonne rectangulaire, portion de cylindre, etc. —, noires, blanches ou couleur aluminium. Tout pourrait laisser supposer la présence d’une esthétique minimaliste dans ces formes posées à même le sol, ou sur le mur pour l’unique tableau monochrome, à deux détails près : la texture des matériaux, la finition des surfaces, ne conduisent pas à la pureté qui résonne dans le minimalisme et surtout, un phénomène étrange saisit le spectateur à leur abord : les pièces se déplacent imperceptiblement dans l’espace, elles suivent des trajectoires aléatoires, traversent le lieu d’exposition et en fonction des obstacles rencontrés, repartent dans une autre direction, non moins aléatoire.

Cette chorégraphie quasi imperceptible des sculptures, d’un format à l’échelle du corps humain, installe une temporalité d’une lenteur troublante, aussi troublante que l’est pour le spectateur son espace à géométrie variable. « L’Art est fait pour troubler. La Science rassure » écrivait Georges Braque. Ces formes sont donc cinétiques, motorisées, pourtant, comme pour le minimalisme, nous sommes loin de l’esthétique de l’art cinétique, loin de ce qui pouvait, dans ce courant artistique, s’apparenter au modernisme. Paradoxalement, tout en mettant en scène le mouvement à travers ces sculptures quasi vivantes, Robert Breer produit de véritables objets de méditation sur l’espace et le temps.

Dans un tout autre rythme et registre, What Goes Up, film commencé après l’attentat du 11 septembre, daté de 2003, développe au fil des collisions d’images et du scintillement stroboscopique qu’il produit, une réflexion sur l’espace et le temps, selon des références et des points de vue liés au monde intime et affectif de l’artiste. Ainsi, se succèdent, s’alternent, se répondent des photogrammes, des dessins, des collages, en une polyphonie d’images de nature éclectique. Ainsi viennent s’entrechoquer, au son d’un bombardier dessiné traversant à toute vitesse l’image dans le tremblement de son tracé autographique et le vrombissant de la bande son, des vues d’une forêt automnale, des photographies de l’artiste photographiant, des compositions abstraites en mouvement, une peinture de Giovanni Bellini : Jeune femme à sa toilette datée de 1515, conservée à Vienne, citée, redessinée, transformée, revenant, comme l’avion, de façon cyclique dans le film. Ce tableau, on le rencontre aussi dans une dans une des œuvres bidimensionnelles, un collage, qui permet de penser qu’il y a dans le film un processus d’autocitation.
À travers un rythme syncopé propre au cinéma underground — courant dont Robert Breer a été l’un des pionniers dès les années cinquante, notamment par ses films d’animation —, What Goes Up déploie un déferlement d’images fixes ou animées par la technique de la pixillation, joue avec notre seuil de perception, interroge notre rapport à l’image et à la visibilité, questionne le cinéma et son rapport au mouvement : « Des images fixes qui se succèdent rapidement l’une après l’autre pour fusionner en mouvement… voilà le cinéma », affirmait Robert Breer en1959.

Ainsi, entre les sculptures dont la mobilité est à peine perceptible et le film qui affirme que sa vitesse émane de la succession accélérée de temps suspendus, en suspens dans les photogrammes, c’est bien le temps et le mouvement qui sont au centre des préoccupations de Robert Breer, préoccupations qu’il partage en jetant un trouble subtil dans l’espace et le temps du regardeur.

Artiste à l’œuvre ludique, protéiforme et prolifique, utilisant le cinéma en plasticien, introduisant le collage dans les dessins et la mécanique dans la sculpture, maniant l’humour face au minimalisme ou le clin d’œil en regard de l’art cinétique, en héritier du dadaïsme, Robert Breer brouille les catégories artistiques en développant, depuis près d’un demi-siècle, une œuvre profonde et singulière en marge des courants établis. Il nous entraîne dans sa vision du monde, une vision amusée et grave, utopique et poétique.

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