ÉCHOS
01 Jan 2002

Rixe au Ritz. L’art baîllonné ?

Samedi 1er mars 2008. Les performeurs du collectif « Il faut brûler pour briller », invités à se produire au Ritz dans le cadre d’un festival de mode — Le Vendôme Luxury Trade Show — sont sommés d’interrompre leurs prestations, jetés à la rue pour nuisances sonores. Responsable de cette évacuation sommaire, la sécurité de l’hôtel est bientôt rejointe par la police et l’armée. Simple coïncidence ? Retour en force de la censure ?

Par Céline Piettre

Il était une époque où la meilleure preuve du dynamisme de l’art résidait en sa prédisposition à la censure. Au vu des événements du 1er mars 2008, on peut s’interroger sur la permanence de ce vieux critère moderniste. L’art choquerait-il encore ?! Au nom d’un politiquement correct en retour de puissance ?

C’est en tout cas ce que nous laisse penser la détermination du directeur du Ritz à se débarrasser des artistes présents dans les jardins de son prestigieux hôtel parisien pour la troisième soirée du Vendome Luxury Trade Show, le samedi 1er mars 2008. La veille, déjà, quelques clients se plaignent de la gêne sonore et physique occasionnée par les différentes interventions. « On est dans un palace ici, pas dans un centre d’animation » lance un agent de sécurité zélé, sur le point d’interrompre le programme performatif en cours. La soirée est à deux doigts de tourner au vinaigre… Puis les tensions s’apaisent, jusqu’au lendemain, où le directeur du Ritz en personne, Omer Acar, prend la décision de « congédier » les artistes et leur public, accusés de menacer la tranquillité de la sacro-sainte « institution ». 

20h15, le courant est coupé.
20h30, les participants se retrouvent dehors, tout juste rhabillés, encore sous le choc de la réprimande.
20h45, la police, prévenue par la direction de l’hôtel, est rejointe par l’armée française ! Officiellement, l’intervention s’expliquerait par la présence d’un scooter piégé. Elle a surtout l’avantage d’étouffer dans l’oeuf les éventuelles manifestations de mécontentement…

Rien ne semble pouvoir justifier la tournure quelque peu brutale (et arbitraire) des événements ? Surtout quand on sait que les espaces du Ritz ont été loués en toute légalité par les organisateurs du salon afin d’y accueillir, outre les exposants et les acheteurs potentiels, les artistes du collectif «  Il faut brûler pour briller », devenu partenaire de la manifestation à titre gracieux. Aucunes plaintes n’ont d’ailleurs été enregistrées par le Park Hyatt et Le Meurice, les deux autres hôtels de luxe investis pour l’occasion. 

Alors… Peut-être faut-il chercher une explication du côté des propositions artistiques en tant que telles et de leur propension à s’emparer de la symbolique du lieu — argent, pouvoir — pour en faire le matériau de leur travail ?
« Tu es artiste, tu peines à payer le loyer, tu es programmée au Ritz, la chambre coûte 700 euros au minimum (…) et toi tu n’es pas payée parce que c’est le concept » déclame l’une des performeuses, le fameux 1er mars, aux alentours de 18h. Un peu plus tard, vers 20h, Jonathan Drillet et Marlène Saldana entament une discussion intégrant certains passages des discours du Latran et de Dakar, récemment prononcés par le président de la République… Ils ne pourront s’exprimer ainsi que quelques minutes avant la tombée de rideau forcée.

Volonté de provocation de la part des artistes ? Mais n’est-ce pas ce qu’on attend de l’art, sa portée critique ? Sa potentialité de remise en cause ?
Il serait un peu naïf d’en conclure à une poussée des totalitarismes — même si on peut légitimement se demander quelle est la nature d’un système qui ne serait pas capable de tolérer sa propre autocritique. Sans aller jusque là, cette anecdote (pas si anecdotique que ça !) est néanmoins la preuve d’un certain contrôle de l’opinion, d’un déséquilibre des rapports de force. Et dans ce contexte, la performance, dont l’histoire est fortement liée à la conquête d’une liberté de penser, a, par son recours au corps et à la voix, une place à jouer, incontestablement…

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