ART | CRITIQUE

Rien à branler des chiens !

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

Les pièces ludiques, très colorées, très hybrides témoignent de l’humour un peu rugueux d’un artiste qui n’a pas peur de la vulgarité, et qui affirme sa liberté de penser, et de se jouer de la bêtise, de l’ennui, de la fureur des donneurs de leçons.

Arnaud Labelle-Rojoux — ALR (« Alère, à l’air ou a l’air », pour citer Stéphane Corréard, parodiant Lacan) — est bien celui qui écrivit sur fond jaune ocre, il y a quelques temps : « Un poil de vulgarité ne messied pas à l’élégance racée ». Ce message encadré était exposé à la Galerie Loevenbruck, parmi d’autres œuvres incisives.

L’humour un peu rugueux d’un artiste qui n’a pas peur de la vulgarité montre ici encore, et sans détour, sa liberté de penser. Les pièces ludiques, très colorées, très hybrides, ont été installées — sur les murs, sur les socles — en haut et en bas de la galerie. Elles développent avec une légère indifférence duchampienne une intention à la fois acide et voluptueuse : certes, peu importe la vie des chiens, souvent aussi minable que celle des hommes, pourvu que jamais ne s’éteigne le désir de se jouer de la bêtise, de l’ennui, de la fureur des donneurs de leçons.

La fausse méchanceté de Labelle-Rojoux n’est pas dénuée d’élégance, d’un érotique et frénétique détachement, même dans le porno kitsch des images populaires et des références à l’Antiquité ou à la modernité. Les objets se répondent dans l’espace de la galerie, du grand au petit; l’histoire des mentalités flirte goulûment avec l’histoire de l’art et avec une culture « rockeuse » sans illusion ni nostalgie.

Que voit-on ? Gilbert & George en caniches, Helmut Berger à peine reconnaissable mais immédiatement dans le titre de l’œuvre (Helmet Berger) et de ce fait reconnu; le Mondo Cane (niche et vidéo, deux boîtes en somme) aux scènes, à l’histoire (film « scandaleux » de 1961, présentant les Anthropométries de Klein d’une manière qui provoqua chez l’artiste une crise cardiaque) et à la musique ravageuses (le More de Sinatra); le grand mur d’Argus Milou, plein d’images qui bousculent les représentations; l’effigie de Jim Morrison, chanteur mythique des Doors; un arbre bizarre (Arbre aux museaux…), un terrifiant Astor au sous-sol de la galerie… Ces différents îlots de toutes les combinaisons d’emprunts et de citations empêchent le visiteur de se fixer trop longtemps. Il s’agirait plutôt de se promener d’une pièce à l’autre en oubliant d’être sérieux, en se souvenant aussi que Labelle-Rojoux aime à aiguiser la conscience du spectateur, à la manière d’un Picabia.

Ses performances en divers lieux (institutionnels ou pas) habitent les formes présentées ici, avec la même réactivité : l’artiste comme duettiste accomplit son geste au risque du moment, à la température du lieu et de ceux qui s’y trouvent. « Rien à branler des chiens », en effet, rien chez Labelle-Rojoux n’est domesticable. Lorsqu’en 1992 l’artiste rendit hommage à John Cage en riant pendant 4 minutes 33, il indiqua, au fond une fois de plus, que le politiquement correct conduit aux ruines les plus lamentables.

Arnaud Labelle-Rojoux :
— Helmet Berger, 2002. Techniques mixtes. 167 x 55 x 62 cm.
— Gilbert et George, 2002. Bois et plastique. 35 x 25 cm.
— Le Saloon des refusés, 2002. Acrylique sur papier. 80 x 66 cm.
— Dogs only knows, 2003. Miroir et adhésif. 100 x 116 cm.
— Black ou l’oubli, 2002. Miroir, céramique et mousse de polyuréthane. 23 x 50 x 25 cm.
— L’arbre aux museaux, 2002. Polyuréthane, objets divers. 185 x 100 cm. Socle : 22 x 65 x 75 cm.
— Profitez des enfants avant qu’ils ne vous mordent, 2002. Gouache sur papier. 104,5 x 74,50 cm.
— Amis du tiers monde, pensez aux préservatifs pour chiens ! , 2002. Gouache sur papier. 104,5 x 74,50 cm.
— L’éternité ? Juste un truc pour t’écrabouiller l’ego, ma puce ! , 2002. Gouache sur papier. 104,5 x 74,50 cm.
— Chiennes, l’automne ! , 2002. Polyuréthane et céramique. 54 x 54 cm.
— Ich liebe dich, 2002. Diptyque : 2 photos couleur. 65,50 x 50 cm chaque.
— Mondo Cane, 2002. Bois, feutrine, moniteur vidéo. 100 x 120 x 105 cm. Socle : 20 x 120 x 140 cm.
— Silhouette de Jim Morrison, 2003. Bois et feutrine. 39 x 30 cm.
— Charrette à bois, le Caravage passe, 1995. Peinture sur bois. 45 x 90 cm.
— Mur Argus Milou, 2003. Ensemble de 22 éléments (dessins, peintures…) de petits et moyens formats (Dieu a tout prévu…, 2001; Argus Milou, 2002; Le Molosse de Rhodes…, 2003; La voix de son maître, 2003; Caniche liebe dich, 1996; La France heureusement…, 2001; Du poil de la belle, 2003; Verdun, 2003; Salomé à l’entraînement, 2003; Dalmate, 2000; Paul Nizan…, 2002; O sole moi…, 2002; Thomas more…, 2003; Jeune chien fou, 2002; Trophée Alcibiade, 2002; Ronald Reagan…, 1996; Dialogues de chien, 2002; Athos à moëlle, 2003; Gardien des catacombes, 1994).
— Azor, 2003. Techniques mixtes. h : 190 cm.
— Rainbow wow wow, 2002. Diptyque : 2 photos couleur. 65,50 x 50 cm.

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