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Richard Wentworth

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@01 Nov 2011

Figure majeure de la «New British Sculpture», Richard Wentworth a l'âme d'un poète qui déniche dans les objets de la vie quotidienne l'insolite et le merveilleux, et rappelle que l'art est partout, souvent ailleurs que sur les cimaises. Par son attention aux objets, aux formes et à l'espace, il redéfinit la notion de sculpture.

A la galerie Nelson-Freeman, pour la première fois, Richard Wentworth, l’un des monstres sacrés de la «New British Sculpture», présente des photographies et des volumes variés qui procèdent à une ré-intérprétation du réel. C’est au réel, dans ce qu’il a de plus banal, de plus évident, que Richard Wentworth se confronte, dans le but de définir ce qu’est la sculpture, ce qu’est l’art, ce qu’est un objet.

En associant, dans Homing, quelques plaques de plâtre blanc à un simple sac-valise en plastique à grands carreaux bleus, du type de ceux dont se servent les gens du peuple, il crée tout un monde. Semblable à un sarcophage ou à la tombe d’un enfant-roi, Homing indique que les objets quotidiens peuvent constituer la base d’une Å“uvre, et que Richard Wentworth sait raconter des histoires en associant des matières et des formes.
On pense à la fois à la mise à mort du plastique et à la sacralisation du consumérisme. Le titre fait référence au retour à l’origine, du néant préconceptionnel au néant postmortel, au caractère éphémère de toutes choses.

Richard Wentworth, qui est directeur du département Sculpture du Royal College of Art, a déjà utilisé dans nombre de ses Å“uvres le livre pour sa forme et sa fonction. Dans Do As I Say, il met en évidence le flux des mots et des pensées généré par les livres. Sur une étagère en verre placée à environ 2 mètres de haut, deux ouvrages: Leçons de choses et ABC of Plain Words (ABC des mots simples) sont reliés par un fil noir entremêlé, faisant des aller retour embrouillés de l’un vers l’autre. La charge sémantique semble être d’un coup matérialisée, palpable, à moins que ne soit rendue visible la matière grise d’un cerveau déchiffrant ces livres d’apprentissage. L’ironie du titre avertit le lecteur de la nécessité de réfléchir par lui-même car la culture sert parfois à niveler les esprits trop dociles.

Needs Must est un inventaire des objets indispensables à la vie quotidienne. L’utilitaire rendu beau. Ces choses — un ensemble de trois couteaux, un tube mou de bricolage, une corde de cuisine, une lampe de poche, un bigoudi bleu, un sachet de bonbons, des grattoirs à vaisselle et une poubelle en plastique rouge — sont fixées au fil de fer rouillé autour d’une colonne: la tête en bas au rez-de-chaussée, et sur une autre colonne à l’étage les mêmes objets sont disposés à l’endroit. Ils sont encordés tels des otages à un pilier, esclaves inanimés du monde moderne.

Plus loin, deux seaux en plastique rouge emboîtés et troués de part en part accueillent un tuyau en métal épais logeant à son tour un tuyau métallique creux largement plus long. Vue de dessus, cette Å“uvre intitulée Monogram est formellement basée sur le point et la ligne. C’est en fait une évocation des porteurs d’eau, du problème des canalisations d’eau potable dans les pays pauvres. Par une conjonction des formes et du titre, et à partir du banal, Richard Wentworth rend sensible et démasque des questions sociales.

Le paysage, grand thème classique de l’art, est mis en abîme dans Memory Stick. La branche trouvée dans un environnement végétal se retrouve créant elle-même un mini panorama de nature sauvage. Quelques traces de peinture rouge sur ce bout de tronc posé horizontalement, rappellent les stries d’une terre aride où le sang a dû couler. La mousse verte reprend les formes floues d’un bosquet isolé, comme pour une maquette, le regard se fait plus complet, éloigné mais paradoxalement plus total.

Donner à voir des percepts, «un ensemble de perceptions et de sensations qui survit à ceux qui les éprouvent» (Gilles Deleuze), voilà ce que fait encore Richard Wentworth en figeant deux barres noires dans un mur pour soutenir des serre-joints et une grosse chaîne. L’escalier devient un passage recensant vingt carrés de toiles cirées différentes, unies ou à motifs.
A l’étage, sept vieilles bassines orange, rouges, jaunes et vertes composent Childhood, un souvenir de jeu d’enfant où l’incongruïté d’un contenant rempli de plâtre mais évidé sur un côté ne surprend pas. Une corde marine sur un tabouret plastique et plus loin une chaîne en métal déséquilibrant deux tabourets d’enfant, éprouvent les forces naturels qui caractérisent un objet dans l’espace, l’équilibre, le poids, la pression, etc.

Enfin il y a les photos. Eparpillées sur les deux niveaux de la galerie, on les retrouve isolées ou en séries montrant le réel à travers le prisme de l’artiste. Les gros plans, le choix des cadrages donnent un nouveau sens, un décalage aux images du quotidien. En ayant une attention toute particulière aux paysages urbains, Richard Wentworth s’applique à identifier tous les petits gestes anodins qui génèrent des Å“uvres d’art hasardeuses et inattendues: un graffiti ou une rambarde d’escalier deviennent une arabesque, un tapis retourné suggère un tapis volant mythique, une porte en bois usée s’habille d’un morceau de tweed, un cube de bois rougi crée une sculpture imprévisible sur un vieil escalier, une étiquette collée sur une photo de mât évoque un navire corsaire, les interstices des trottoirs et des murets récoltent des détritus improbables, pièces de monnaie, chewing-gum, mégots, une prise électrique recouverte de peinture se transforme en peinture moderne, etc.

Richard Wentworth sait voir. Par une observation rigoureuse du monde environnant, il déniche l’art partout. Il soutient alors que tout peut servir à l’art, que tout acte est unique et créatif, que tout le monde d’une certaine manière crée et que l’art ne s’arrête pas aux portes des musées. Son Å“uvre s’ enrichit du modeste. Dans la même mouvance que Tony Cragg ou Richard Deacon, il trouve le magnifique dans le banal, la beauté dans l’incongru, l’esthétique dans l’extraordinaire en s’attardant sur le formel et sur la poésie visuelle qu’il produit.

Å’uvres
— Richard Wentworth, Audience. Peer Group, 2011. 4 miroirs, plastique noir. Dimensions variables.
— Richard Wentworth, Homing, 2011. Sac plastique, plâtre. 75 x 152 x 68 cm.
— Richard Wentworth, Do As I Say, 2011. 2 étagères en verre, 2 livres, fil. 6 x 52,5 x 38 cm.
— Richard Wentworth, 2006-2011. 12 C-print. 74 x 92 x 7,5 cm.
— Richard Wentworth, Needs Must, 2011. Technique mixte. Dimensions variables.
— Richard Wentworth, Monogram, 2011. 2 seaux en plastique rouge, acier, peinture. 29 x 247 x 35 cm.
— Richard Wentworth, Memory Stick, 2011. Bois, peinture, métal. 16 x 58,5 x 15 cm.
— Richard Wentworth, 1986-2011. C-print, verre, étagère en aluminium. 19 x 29 cm.
— Richard Wentworth, Love, 2011. 2 barres d’acier, 2 serre-joints, chaîne. 94 x 76 x 17 cm.
— Richard Wentworth, Esprit, 2011. Toiles cirés. Dimensions variables.
— Richard Wentworth, Childhood, 2011. 7 bassines en plastique, plâtre. Dimensions variables.
— Richard Wentworth, Ass, 2011. Corde, 2 tabourets en plastique. 63 x 55 x 125 cm.
— Richard Wentworth, Now, 2011. Corde, 2 tabourets en plastique, chaîne. 29 x 205 x 28 cm.

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