ART | CRITIQUE

Richard Jackson

21 Juin - 31 Juil 2007
PLéa Bismuth
@12 Jan 2008

Entre sculpture et installation, Richard Jackson reconstruit deux pièces d’une maison — la salle à manger («dining room») et la chambre de bonne («maid’s room») — et soumet le modèle de l’«american way of life» à l’épreuve du grotesque…

C’est d’abord l’instinct voyeuriste du spectateur qui est sollicité: il ne peut se retenir de regarder à travers la mince ouverture laissée dans la porte-fenêtre en bois et briques de la chambre de bonne. Il se trouve alors face à une facétieuse mise en scène reprenant de manière pour le moins explicite l’ultime chef d’œuvre de Marcel Duchamp, Étant donné.
Comme dans l’œuvre de Duchamp, le spectateur-voyeur entraperçoit le corps sauvagement dénudé d’une femme allongée sur le dos, le visage caché et le sexe glabre largement visible.

Alors que chez Marcel Duchamp, le corps nu est allongé dans l’herbe, dans un environnement bucolique, Richard Jackson crée un décor de chambre: la bonne est allongée sur un lit, ses sous-vêtements sèchent derrière elle, une salle de bain est visible à l’arrière-plan. De même, le modèle duchampien tient à la main une lampe qui s’est transformée en tuyau d’aspirateur chez Richard Jackson. Ces clins d’œil et ces revirements n’ont rien d’anodin et participent de la volonté de Jackson de reconnaître à la fois sa filiation avec Duchamp tout en prenant ses distances, par le grotesque.

C’est le grotesque qui est à l’œuvre dans la pièce maîtresse de l’exposition, une salle à manger délirante dans laquelle le modèle bourgeois de la famille prenant son repas quotidien en remerciant le seigneur vole en éclat…
Pendant que la bonne est à moitié morte d’extase sur son lit, la famille se déchaîne: le père (symbole de l’autorité et du pouvoir) exhibe un nez phallique et défèque au centre de la table, accroupi, le pantalon sur les chevilles; la mère, monstrueuse et obèse, la tête en bombonne de gaz, allaite un enfant au visage en «smiley face» ; les enfants (une fille et un garçon comme il se doit) n’en sont plus à se tenir bien à table!
Richard Jackson pimente cette joyeuse euphorie rabelaisienne et décadente par sa fameuse technique des jets de peinture de toutes les couleurs jaillissant des nombreux orifices des protagonistes. Par un ingénieux système de pots reliés à des petites machines propulsant la peinture, les personnages eux-mêmes suintent de toute part, crachent et pissent en plein milieu de la table, jusqu’au chien noir faisant ses besoins dans un coin de la pièce…

Richard Jackson se joue du modèle de l’«american way of life» qui impose la famille comme une valeur fondatrice. Avec lui, le fameux dicton «Home sweet home» ne peut être que la base de son inversion des valeurs.
Cependant, le grotesque prend toujours le pas sur la critique violente. Pour le dire autrement, Richard Jackson n’est pas un activiste viennois: il ne dramatise pas, il exalte, exulte et en fout partout…

Richard Jackson
— The Dining Room, 2006-2007. Fibre de verre, bois, système électrique, moteur, verre, néons, système électrique, peinture acrylique et acier. Dimensions variables.
— The Maid’s Room, 2006-2007. Fibre de verre, savon, bois, moteur, vidéo, système électrique, Peinture acrylique et acier. 230 x 510 x 260 cm.

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