PHOTO | CRITIQUE

Rétrospective 1976-1995

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

Bernard Faucon crée des mises en scènes où des mannequins, principalement d’enfants, miment des situations peut-être vécues, peut-être rêvées, mais toujours fantasmées. Les photographies disent un monde raidi dans la mort, sans communication possible entre les êtres.

«Je n’ai pas de souvenirs d’enfance» écrivait Perec au début de W ou le Souvenir d’enfance. Mais pour ceux qui en ont, peuvent-ils être autre chose que des fictions, que des images que l’imaginaire tisse avec la mémoire?
La rétrospective que la Maison européenne de la photographie consacre à Bernard Faucon présente les grandes étapes d’un parcours chronologique achevé en 1995. Comme toute histoire bien conçue, il comprend un début, un milieu et une fin, et raconte cette quête de soi et de l’absolu après la rupture irrémédiable d’avec l’enfance. Par son achèvement même, ce projet met en question les limites du geste photographique dans la recherche d’un sens qui ne se dirait qu’en images.

Le début de l’histoire a un statut à part, car la période explicitement couverte par la «Rétrospective 1976-1995» ne dit pas tout ce qu’elle montre: les premières photos sont antérieures à 1976, datant pour l’essentiel des années 1967-1969. Regroupées au sous-sol dans la série «Le Temps d’avant», à côté du cabanon reconstitué où vécut l’artiste et où sont rapportés ses propres objets, elles évoquent ce temps perdu qu’il faut aller chercher dans les sous-sols de la mémoire, là où survit, presque intacte mais vouée à un sacrifice nécessaire, la part innocente des impressions premières.

Bernard Faucon se représente lui-même, ses lieux familiers et ses proches; la coïncidence est encore possible avec sa propre image dans un ordre naturel et familial où sa place ne pose pas problème. Mais les couleurs irisées, qu’on retrouvera par la suite, soulignent déjà la conscience d’une distance entre soi et soi-même, et entre soi et le monde. Elles indiquent aussi le sentiment d’une présence invisible et mystérieuse par-delà «ce qui est» et qui tremble dans la menace de sa disparition. Silence donc sur cette période dans le titre de l’exposition, comme pour soustraire au cours du temps ce «Temps d’avant».

Été 1976. La rupture se produit: l’enfance est derrière soi. Mais pas oubliée, au contraire: il faut alors combler la place. Le milieu de l’histoire comprend plusieurs séries, témoignant d’une évolution du rapport à soi et au monde. Dans les «Grandes Vacances», Bernard Faucon crée des mises en scènes où des mannequins, principalement d’enfants, miment des situations peut-être vécues, peut-être rêvées, mais toujours fantasmées.
Empreintes d’un onirisme oscillant entre dérision et sentiment de solitude inquiète, ces photographies disent un monde raidi dans la mort, sans communication possible entre les êtres, comme en témoigne L’Autoportrait avec les mannequins (1976). Le désir ne saurait y trouver l’absolu.

Il faut donc le chercher ailleurs, dans une altérité totale culminant dans la plénitude du vide. Aussi les séries suivantes renvoient-elles le geste photographique à sa dimension épiphanique: dans «L’Évolution probable du temps», des clichés aux titres explicitement religieux (La Cène, 1981 ; L’Apparition, 1984 ; La Vie éternelle, 1984) captent une présence trouble et rayonnante dans des paysages ponctués de flammes et d’explosions.
Dans les «Chambres d’amour» et les «Chambres d’or», le procédé de la mise en scène est repris pour ne rendre, dans ces lieux d’intimité vides, que les traces et les tonalités de l’amour. Toujours personne, si ce n’est deux ou trois fois, des corps nus sans visages.

Même la série «Idoles et Sacrifices», qui rend pourtant la beauté de jeunes garçons mi-nus dans une lumière d’or, les fait alterner avec des paysages déserts dont un élément est coloré en rouge sang: le divin de la vie fait corps avec la mort, comme si la photographie était impuissante à dépasser le hic et nunc.

Le parcours s’achève en deux séries qui se font écho. Dans les «Écritures», des paysages parsemés de messages en lettres d’environ un mètre de haut expriment des vérités existentielles, comme une sorte de bilan avant les adieux. Les clichés de petit format de la série «La Fin de l’image» sont les images de la fin: des surfaces de corps où s’offrent à lire des phrases, des aphorismes. Un sens se formule, on passe de l’image au texte: dès lors, il n’y a plus rien à voir.

Les 4 et 5 mars 2006, au terme de l’exposition, les objets du cabanon seront dispersés entre les visiteurs. Geste d’adieu définitif à l’enfance, qui relie ainsi le troisième étage et le sous-sol: Bernard Faucon liquidera son passé. La photographie aussi, si elle lui est si liée?

Bernard Faucon :
— «Les Grandes Vacances», 1976-1981.
— «Évolution probable du temps», 1981-1984.
— «Les Chambres (Chambres d’amour, Chambres en hiver, Chambres d’or)», 1984-1988.
— «Les Idoles et les Sacrifices», 1989-1991.
— «Les Écritures», 1991-1993.
— «La Fin de l’image», 1993-1995.

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