DANSE | SPECTACLE

Requiemachine

22 Nov - 30 Nov 2014
Vernissage le 22 Nov 2014

Marta Górnicka constitue dans ses pièces un chœur contemporain, en travaillant à travers lui la possibilité d’incarner le tragique des sociétés actuelles. Le groupe de performeurs interprète ici un requiem pour un système technologisé auquel les écrits de Broniewski, croisés avec ceux de Foucault ou de Jünger, font écho. Projet singulier et audacieux, Requiemachine se présente comme une ode à la révolution personnelle prenant la forme originale d’un «post-opéra».

Marta Górnicka
Requiemachine

Le troisième spectacle de Marta Górnicka s’inscrit dans la continuité de son travail de recherche visant à créer un chœur tragique contemporain qui aborde la question de la condition humaine constamment soumise aux normes culturelles, sociales, économiques et religieuses. Cette fois-ci, la voix du chœur vise la réalité du système économique du libre-échange. Il devient le corps/la voix de la société prise en étau entre la terreur du chômage et l’exigence de travailler au-delà de ses forces. Un chœur de performeurs prend forme sur la scène du théâtre pour interpréter un requiem extatique contre ce système, signe du pouvoir de la technologie sur la liberté personnelle.

Le livret du spectacle est composé des poèmes de Władysław Broniewski, des extraits de discours officiels, de lettres, de comptines d’enfant que le chœur confronte avec des théories philosophiques de Foucault, de Jünger, avec les textes de Jelinek et avec le langage publicitaire. La marche impériale de Star Wars se mêle aux sons d’une machine futuriste, au bruit de l’ordinateur, au chant réaliste-socialiste et au heavy metal. Prises dans les engrenages de la machine du chœur tournant à plein régime, la langue et la voix entrent en collision. «Je suis la victime immolée de tout système» — a écrit Broniewski, en révélant une tension dramatique entre la pression écrasante de l’idéologie et la force de la poésie qui, comme il espérait, devait à la fois révolutionner le monde et sauver la subjectivité personnelle.

Aujourd’hui, ces textes retranscrits à travers la force d’un chœur, que Marta Górnicka qualifie de «post-opéra», une machine composée d’un corps et d’une voix collectifs, frappent avec une incroyable puissance. Le langage, scandé, y est à la fois désigné comme l’un des principaux outils de ce formatage et transfiguré par le travail qu’il imprime sur les voix et les corps ainsi que par la musicalité qui s’en dégage. Un chœur énergique et révolté qui impressionne par son intensité physique et par la virtuosité avec laquelle ces travailleurs du verbe transforment les mots en musique et le langage en rythme. Le potentiel révolutionnaire des poèmes des années 30 résonne comme un chant à la gloire de l’efficacité et du rendement d’une corporation.

«Requiemachine est un essai sur la langue et la mort. Sur la relation entre la langue et le pouvoir, sur la machine de l’histoire. Mais avant tout, j’ai voulu parler du totalitarisme du travail et de l’homme ordinaire pris dans les engrenages de la production et de la consommation quotidienne. La langue robotique et rythmique de la poésie de Broniewski, sa biographie bouleversante de poète, furent le prétexte à ce spectacle; cette langue, je l’ai mixée dans ma tête avec la campagne publicitaire de Benetton, avec les textes de philosophes, avec la marche de Star Wars, et avec le râle d’un larynx malade. Requiemachine est le chant robotique d’un système dans lequel “chacun veut être apprécié”, dans lequel “chacun a son prix”. Un tel chant n’a pu exister que dans un théâtre total, sous la forme musicale paradoxale de post-opéra où s’emboîtent les engrenages des machines de l’histoire, de la langue et du travail, tournant à toute vitesse dans les directions différentes. C’est la voix du chœur-machine, plus muette encore que d’habitude, qui, avec une plus grande détermination que d’habitude, lutte pour le droit à la parole.» Marta Górnicka

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